Le droit à la parole!

C’est l’un de mes souvenirs d’enfance qui m’ont marqué à vie. Ce jour-là, j’étais au bain maure, le hammam public de mon quartier, sur mon ancienne planète. Dans la salle d’habillement, un vestiaire ouvert où les clients relaxent avant de quitter les lieux, j’avais entamé une petite discussion anodine avec des amis rencontrés sur place. Notre échange s’est machinalement attardé sur un énième congrès des pays musulmans tenu quelque part en terre d’islam.

En pareilles circonstances, la télévision publique nationale bousculait toute sa programmation pour diffuser au complet et en direct toutes les activités du sommet.

Au bain maure, entre gamins, nous riions des costumes traditionnels arborés par certains chefs d’État musulmans quand j’ai vanté le costard du prince héritier marocain. Il était très élégant aux côtés des représentants des autres délégations. Et puis on est passés à un autre sujet.

En rentrant chez moi, j’ai vu ma mère au seuil de notre maison. Son langage non verbal n’augurait rien de bon. Au lieu de son câlin habituel, elle m’a tiré par les oreilles et pris à part dans une chambre. À l’écart du reste de la famille, ma mère m’a roué de coups en hurlant de toutes ses forces. Hébété, je recevais ses brimades sans broncher.

Une fois l’effet de surprise passé, j’ai fini par sursauter et hurler de toutes mes forces : «Pourquoi me frappes-tu de la sorte?» Épuisée, ma mère a fini par me crier dessus : «Qu’as-tu dit encore de si grave au hammam pour qu’on vienne me faire la leçon?»

Là, ma pauvre mère m’a expliqué qu’un moukadem, ce représentant de l’administration locale qui, dans chaque arrondissement, à travers le royaume, faisait office d’espion, de mouchard et d’homme à tout faire du régime, s’est pointé chez nous pour la menacer, alors que j’étais encore au hammam.

L’histoire est aussi bête que ça. Quand j’échangeais avec mes amis dans la salle d’habillement, le mouchard en question tendait l’oreille. Il a entendu et mémorisé notre conversation banale. Sur-le-champ, il a quitté pour se diriger chez moi et intimider ma mère : «Dites à votre fils de faire attention à ce qu’il dit. Pour qui se prend-il pour parler de notre prince héritier en public et sans égard? Si ce n’était votre fils et que son père est de ma tribu, je l’aurais dénoncé aux autorités. Elles sauraient comment le rééduquer!»

Cette après-midi-là, j’ai eu la trouille de ma vie, je me suis senti coupable et j’ai regretté d’avoir fichu une sacrée trouille à ma mère. C’était au début de mon secondaire.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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