Droit à la hauteur ou droit au soleil?

Photo: http://432parkavenue.com

Quand on construit des grandes tours, pense-t-on à l’ombre qu’elles projetteront?

Il y a quelques jours, mon collègue Marc-André Carignan signait un billet de blogue intitulé «La folie des hauteurs de Québec et Gatineau : besoin ou ego démesuré?» sur le site dédié à l’architecture Kollectif. Dans ce texte, Marc-André s’inspire, lui, de la lecture du livre Désastres urbains : les villes meurent aussi, du professeur de l’Institut d’urbanisme de Paris, Thierry Paquot. On y aborde les gratte-ciel comme des tours dispendieuses et énergivores. On y déplore leur manque d’habitabilité aux dépends d’idées telles que la modernité et «l’architecture identitaire». Marc-André fait le lien avec le projet Le Phare, à Québec (65 étages), et la Place des Peuples, à Gatineau (immeubles de 35 et 55 étages).

En lisant ce billet, j’ai tout de suite pensé à une situation à laquelle est confrontée New York: l’ombre des tours aux hauteurs prodigieuses. Sans blague.

Des articles sur le sujet remontent à plusieurs mois déjà. Dans celui-ci, on parle de résidants dont les logements autrefois lumineux ont été plongés dans les ténèbres à la construction de tours dans le voisinage. Dans celui-là, on apprend que, par exemple, l’immeuble 432 Park Avenue, qui s’élève à 425 mètres dans Manhattan – et qui est jusqu’à présent la tour d’habitation la plus haute dans l’hémisphère ouest – jette de l’ombre sur Central Park. Enfin. Pas juste cette fabuleuse tour, qui alimente l’imagination, mais aussi quelques autres de ses copines.

À l’ombre, il fait plus froid. La végétation croît aussi plus difficilement. Ainsi, des bâtiments aux hauteurs et aux prix vertigineux destinés aux mieux nantis qui auront des vues incroyables font de l’ombre aux habitants de longue date, à ceux aux revenus plus modestes et aux espaces publics qui bénéficient à tous.

Dans une entrevue accordée à la National Public Radio (NPR), Gary Barnett, le président d’une firme immobilière (Extell Development) basée dans la ville qui ne dort jamais, défendait les ombres de ces bâtiments. À ses dires, «les ombres projetées par des bâtiments hauts et fins, ce que sont la plupart des nouvelles constructions, sont très brèves dans le temps – elle durent peut-être 10 minutes à un endroit donné – et ne causent pas d’effets négatifs sur la faune ou la flore du parc. De plus, ces bâtiments créent plusieurs emplois permanents dans le commerce, l’hôtellerie et la construction. Des emplois bien payés. Plusieurs travailleurs syndiqués de la construction gagnent entre 100 000$ et 200 000$ par année. Avec de tels salaires, ces New Yorkais peuvent améliorer leur vie».

Au Québec, il n’est pas obligatoire pour les firmes d’architecture de calculer les ombres projetées par un bâtiment, m’a affirmé Laurence St-Jean, candidate à la maitrise en architecture et design urbain, et présidente de l’ASSÉTAR*, à l’Université Laval.  Par contre, «certaines, sensibles au développement durable, le font», précise-t-elle.

Ainsi, l’an dernier, des étudiants en architecture de cette université ont évalué la portée de l’ombre du projet Le Phare, en faisant une modélisation 3D préliminaire. Selon des informations diffusées à Radio-Canada, l’ombre du Phare affecterait le secteur commercial sur le boulevard Laurier et sur le quartier résidentiel avoisinant. «La tour est en train de faire de l’ombre dans la cour de tout un quartier de bungalows en fait. Tous les gens qui habitent dans le quartier tout près de Laurier se retrouveraient à ne pas pouvoir faire de BBQ, pas pouvoir profiter de leurs piscines creusées», avait confié à la société d’État Étienne Coutu-Sarrazin, alors finissant de deuxième cycle en architecture.

«Notre but, ce n’était pas de créer un sentiment “Not in my backyard”, mais on voulait démontrer les répercussions du projet sur la ville et essayer de sensibiliser les gens», poursuit Laurence St-Jean. Parmi d’autres effets d’un projet si haut sur la ville, elle souligne les impacts sur le réseau de mobilité et sur la vie urbaine. «On apprend plus à construire à l’horizontale. Quand on construit en hauteur, c’est quand on n’a plus d’espace. Là, on saute des étapes. Au lieu de densifier verticalement, il faudrait combler les vides pour favoriser un milieu de vie.»

D’autant plus que, avec Le Phare, «il n’est pas question de limiter l’étalement urbain, puisque qu’il y a d’autres espaces qui pourraient être comblés à l’intérieur des limites de la ville», croit Mme St-Jean.

Il y a deux semaines, Montréal a limité la hauteur maximale des gratte-ciel à 170 mètres, dans un petit périmètre du Quartier des gares, au sud de la rue Saint-Antoine, entre les rues de la Montagne et Peel. Depuis quelques mois, des promoteurs immobiliers cherchaient à construire leurs tours jusqu’à 210 mètres dans les airs. Ça reste très haut.

Dans un  article de ma collègue Marie-Eve Shaffer, Richard Bergeron, le conseiller de Saint-Jacques et responsable de la stratégie du centre-ville à la Ville a rappelé, au moment de cette annonce, la règle qui veut que les édifices montréalais ne dépassent pas en hauteur le mont Royal, qui est de 232 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est rassurant.

Mais, dans le secteur, des espaces publics seront réaménagés et de nouveaux espaces verts sont prévus (entre autres entre les rues Saint-Antoine et Saint-Jacques). On espère qu’il sera possible d’y profiter du soleil!

 

*Association des étudiants inscrits au baccalauréat en architecture de l’Université Laval et des étudiants inscrits au doctorat et à la maîtrise en architecture de l’Université Laval

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