Après le rire, la panique

Nous avons tous regardé l’ascension de Donald Trump comme on regarde un spectaculaire carambolage sur l’autoroute. On est horrifié par le carnage, mais on ne peut pas s’empêcher de ralentir pour regarder.

Donald Trump a fait ses classes préparatoires politiques non pas en affaires, mais comme vedette de  téléréalité. S’il réussit à jouer magistralement le jeu durant cette campagne électorale, c’est que les médias d’information américains s’inspirent de ces compétitions télévisuelles, faisant leur pain et leur beurre de formules-choc, de scénarios improbables et d’invectives puériles entre concurrents.

Cette complicité entre les médias et le monde politique ne date pas de l’arrivée de Trump. L’élection américaine est depuis longtemps un match de visibilité, et la course au financement électoral est surtout une bataille pour se payer le plus de temps d’antenne possible. Les médias font leurs choux gras de cette surenchère publicitaire.

Mais Trump n’a pas eu besoin de s’acheter de la visibilité, les médias lui en ont donné gratuitement. Trump est le candidat parfait de la «société du spectacle». Incapables de se priver du divertissement qu’il génère, et surtout des cotes d’écoute qui viennent avec, les médias d’information et de divertissement ont braqué leur attention sur le candidat-bouffon.

Et puis, en accordant à ses affirmations racistes, sexistes, narcissiques, farfelues et haineuses la même attention qu’à un programme politique, en en faisant un sujet de débat sérieux et l’objet d’une couverture constante, les médias lui ont donné la légitimité qui lui échappait. L’amuseur public des uns est devenu le candidat fréquentable des autres.

Sur le fond, Trump prétend servir une frange de l’électorat américain exaspérée par un système injuste. Suivant une logique arriérée qui, on doit s’en désoler, «pogne» encore en 2016, les minorités visibles sont les boucs émissaires prévisibles dans le scénario simpliste d’une «vraie» Amérique perdue qu’il faudrait rétablir.

Quelle différence entre Trump et Ted Cruz, le second candidat à l’investiture républicaine? Outre la propension haineuse du premier, un monde sépare les deux hommes. Trump favorise des politiques sociales libérales qui tranchent avec le conservatisme du parti; il préconise une augmentation des impôts des plus riches et le protectionnisme économique; il voudrait fermer des bases militaires américaines. Ted Cruz est quant à lui une incarnation extrême de l’idéologie républicaine récente et est réputé arrogant et moralisateur. Les bonzes du parti le préfèrent à peine à Trump. Mais «The Donald» n’est pas un des leurs, et le parti républicain ne se peut plus de le voir remporter caucus après caucus, primaires après primaire.

Les analystes éberlués par le cours des événements brassent tous les scénarios possible, le principal étant que le Parti républicain, en imposant Ted Cruz ou Marco Rubio pour se débarrasser de Trump, laisse les partisans de ce dernier amers et furieux, voyant justement dans cette manœuvre la preuve de la mainmise d’un pouvoir élitiste qu’ils espéraient renverser. L’autre option : le parti laisse gagner Trump, en se flagellant de n’avoir pas vu venir cette déroute et en se préparant à baiser la bague dorée du roi Donald.

Avec tout ça, bizarrement, on se met à regretter Jeb Bush…

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