La bête et sa cage: récit d’une lecture qui bouscule

Photo: David Goudreault / Stanké – 2016

PAR Siou, camelot mont-royal / bordeaux

Je prends le livre, j’examine le livre, il est beau, sa couverture est toute jaune, sa présentation est simple et efficace. Le titre : La bête et sa cage, le nom de l’auteur : David Goudreault. Un dessin d’Axel Pérez de Leon : au crayon blanc une silhouette d’un p’tit bonhomme, à poil, sans visage, les mains menottées et tenant un pigeon par les pattes. À l’endos, en dehors des présentations d’usage, une phrase intrigante : « La prison brise les hommes, mais la cage excite les bêtes ».

J’ouvre le livre. Il ne sent pas le livre neuf, ni le vieux livre. Curieux, le papier pue ?  Un livre tout frais sorti, ordinairement, ça sent tellement bon ! Mais voilà, une nouvelle réalité, les livres fabriqués de papier recyclé… puent ?

Invité au lancement, je me présente au café L’Escalier. C’est la première fois que je vais à un lancement de livre. Une femme à côté m’aborde. Elle est très aimable, c’est Patricia, l’attachée de presse. Elle sait qui je suis, et me parle d’une entrevue que je dois réaliser par téléphone avec l’auteur. « Ah oui ? T’es sûre ? Je suis pas plutôt supposé faire la critique du livre !? » Elle m’apprend que je ferais les deux. Elle se lève, m’emmène vers son protégé. Elle commence à lui dire quelque chose et continue à lui dire sûrement autre chose.

Je suis là tout proche, je tends l’oreille fine et tout ce qui s’aiguise est une attention déficitaire  prête à me faire éclater les tympans. D’une façon plus claire, je ne comprends pas un traitre mot de ce qui se dit. David Goudreault lève les yeux vers moi, me salue froidement et retourne vers les gens qui attendent un autographe. Je reste figé, je me sens un peu débiné : le contact ne s’est pas fait du tout.

Petite anecdote qui ne devrait pas être si grave, mais je suis dans ma période trouble. Avec mon trouble du déficit de l’attention (TDA) combiné à mon anxiété généralisée (TAG), je peux d’un rien amplifier une situation. Et le scénario ci-dessus me laisse le sentiment  d’être un moins que rien. Une phrase du livre me vient en tête.

« Quand t’es rien, devenir un moins que rien, ça donne de la valeur. C’est difficile d’être un inconnu dans un monde érigé sur la reconnaissance. »

Je ne suis pas dans une bonne disposition pour lire un livre. En un peu plus d’une semaine, j’ai réussi à lire à peine 40 pages. Mais je dois m’y remettre.  249 pages, ça me semble une montagne.

Tout à l’envers
C’est du rough, du cru, sans détour, le tout conté avec un sourire en coin, qui m’agace quelque peu. Comment peut-on s’amuser avec la situation d’un coucou dans une aile psychiatrique, sous l’emprise d’un colosse qui le tabasse et le viole quotidiennement et faire  comme si de rien n’était ? Ce jeu tordu, cette situation de pouvoir et d’abus m’enrage, me met tout à l’envers.

« Il soutenait qu’il s’était criminalisé à l’intérieur des murs. Avant la prison, il ne s’était jamais battu, n’avait jamais trafiqué, ni consommé de dope. Ça vous dépucelle un innocent, une longue sentence. »

Quoi ! Si le milieu ressemble vraiment à ça, alors comment dans un système carcéral aussi weirdo peut-on espérer réhabiliter même un seul criminel ?  En entrevue, l’auteur tient d’ailleurs à préciser que son histoire de prison est bien documentée. Je deviens trop émotif, ma concentration est médiocre et la lecture devient de plus en plus pénible. Je ne crois pas pouvoir finir le livre. Faut dire que je ne connaissais pas le personnage qui a déjà vécu dans un premier roman de David Goudreault, La bête et sa mère.

« Les récits de résilience avec des parcours tortueux, ça excite la populace et fait mouiller les journalismes. »

Me laisser aller à la dérive
Mais hop ! Un dimanche gris, je me réveille dispo à la lecture. Les lettres ne s’embrouillent plus, mon TDA est resté endormi avec mon TAG. Je dois en profiter et me lancer à fond dans l’aventure de la bête du roman. À la page 35, une histoire d’amour semble se pointer avec Édith, « responsable du suivi et de son hypothétique réhabilitation ». En partant je n’y crois pas trop à cette histoire d’amour à sens unique.

Et de fait : plus l’histoire avance et plus se dessine assurément l’existence d’une triste histoire de manque d’amour et à ce manque si grand, je m’identifie drôlement.

« Même si j’avais laissé le temps à ma main d’aller jusqu’au bout de sa danse poteau, j’étais encore tendu ce matin. »

Je suis maintenant embarqué dans le livre, comme dans un bateau de papier et je me laisse aller à la dérive, sous le regard attentif d’un enfant, laissé debout sur le bord de la rive. Puis m’apparait l’absurdité de ce qui entoure le personnage dans sa cage : ses efforts à pédaler dans le vide, pour essayer de s’en sortir, comme il peut, avec les codes du milieu… Mais n’ayant aucune porte de sortie, le pauvre, qui n’a pas de nom officiel dans le livre, se perd dans une réalité décalée.

« L’aventure humaine est une longue suite d’échecs et de désillusions parsemés de quelques espoirs, nous donnant la force de continuer à souffrir… »

J’ai passé par tous les états en lisant ce livre : incompréhension, colère, tristesse, grande tristesse, réflexion, compassion, amusement, surprise, rire… (eh oui, rire !) et le très grand bonheur d’avoir lu un très bon livre. La qualité première de ce livre est de m’avoir bousculé. Je vous souhaite des livres qui vous bousculent. Un livre qui bouscule est un livre fort !

« J’avais mal, mais ne le montrais pas. En dedans, il ne faut jamais exprimer ses émotions, sauf la colère, l’agressivité, la haine, la rage, l’amertume, la rancune, le dégout, la révulsion, l’exaspération, l’insoumission, le ressentiment et l’irritation. Facile pour moi, je suis un dur de dur, même s’il m’arrive d’écouter du Francis Cabrel en cachette. »

David Goudreault nous a appris qu’un troisième roman de La bête est en écriture. La trilogie bientôt terminée, l’auteur pourrait très bien nous revenir avec un livre des meilleures citations de La bête… tellement il y a des phrases incroyables, très punchées (on sent le slammeur pas loin), assaisonnées  d’un humour qui rehausse délicatement le tout.

« La dépression tue dix fois plus que les criminels, c’est documenté. »

« Même pour une bande de tueurs, tuer le temps, c’est pas simple. »

« Il y en a qui sentent le swing. Lui, c’était pire, il puait le jazz. »

« N’importe quel imbécile peut écrire un roman. »

***

Ce texte figure dans l’édition du 15 juin de L’Itinéraire.

À lire dans cette édition :
– DOSSIER La santé, un besoin universel
– Entrevue avec Alain Deneault – Paradis fiscaux : 62 individus gagnent autant que la moitié de l’humanité !
– Rencontre avec Philippe Brach – L’art de ne pas laisser indifférent

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