Les Forges de Montréal menacées d'éviction
MONTRÉAL — Au beau milieu d’une autoroute et de silos à grains le long du canal Lachine, à Montréal, se trouve une structure grisâtre âgée de 130 ans qui abrite des forgerons pratiquant le métier d’antan.
Mathieu Collette, avec sa salopette noire et sa queue de cheval nouant ses cheveux foncés, travaille sur une pièce de fer rouge de chaleur placée sur une enclume française vieille de 230 ans.
«Personne au Canada ne fait ce que nous faisons, dit-il alors qu’une goutte de sueur perle sur son front. Nous sommes même uniques en Amérique du Nord.»
Bien que plusieurs cours de forge existent ailleurs au Canada, M. Collette affirme que son organisme sans but lucratif, Les Forges de Montréal, dans l’édifice où il travaille, est le seul endroit en Amérique du Nord consacré à enseigner les techniques d’époque.
Ses collègues et lui offrent des cours à tous ceux qui sont intéressés à garder le métier de forgeron bien vivant.
Depuis 2000, M. Collette et plusieurs autres forgerons se partagent l’espace, mais ils affirment que la Ville de Montréal veut les chasser de l’endroit en raison d’un conflit sur le bail.
«La Ville veut mettre ses camions là», soutient M. Collette devant la fenêtre donnant sur l’autoroute Bonaventure, qui est à quelques mètres de l’édifice.
Il pourrait prendre son matériel et déménager, mais M. Collette estime que le lieu de son atelier est aussi important que les méthodes qu’il enseigne à ses élèves.
Derrière la structure de pierre est situé le canal Lachine, qui était auparavant à proximité des usines de bois transformé, d’acier, de cuir et d’autres produits qui ont été essentiels au développement du Canada.
Tout juste à côté de l’édifice se trouvent d’imposants silos à grains, qui appartiennent à l’entreprise propriétaire de la farine Five Roses — dont le panneau en néon rouge illumine le ciel de Montréal chaque soir.
Le fait qu’un atelier de forge soit entouré d’usines et de voies ferrées — des symboles de la Révolution industrielle — n’échappe pas à Mathieu Collette.
«Nos techniques anciennes sont vivantes et sont (des symboles) de la Révolution industrielle au Canada», souligne-t-il.
Le gouvernement possède le terrain sur lequel la structure est érigée et M. Colette souhaite discuter avec Ottawa pour agrandir l’atelier et créer un musée ainsi qu’une aire récréative extérieure afin de raconter l’histoire industrielle du Canada.
«C’est totalement unique ici. Juste derrière nous est (située) l’entrée du canal qui a bâti le Canada: les moulins, le train, le pont Victoria derrière nous… Personne ne sait ça. Nous voulons faire un musée qui explique tout ça.»
Mais M. Collette et ses partenaires doivent d’abord régler leur conflit avec la métropole, qui est propriétaire de l’édifice. Le forgeron dit qu’il avait une entente avec l’ancienne administration municipale pour remettre à plus tard des rénovations onéreuses.
La Ville de Montréal soutient plutôt que cette entente n’avait jamais été formellement approuvée et que le groupe viole les clauses du bail en ne procédant pas aux rénovations.
Une porte-parole de la municipalité, Anik de Repentigny, a écrit dans un courriel que les Forges de Montréal ne respectaient pas les obligations du contrat et que «le dossier suit son cours».
«Nous n’avons pas d’autres commentaires», a-t-elle dit.
Mathieu Collette espère que les Montréalais et le maire reconnaîtront que son groupe protège l’héritage culturel de la ville.
«Nous sommes une équipe de passionnés qui aimons partager les techniques anciennes de forge avec le public. Avant, les gens étaient fiers de faire des objets qui dureraient pour toujours. Et c’est pourquoi les anciennes techniques sont meilleures que les nouvelles», a-t-il fait valoir.
La technique de forge en bref
— La forge traditionnelle utilise les quatre éléments: la terre (le fer), l’air (pour augmenter la chaleur du fer), l’eau (pour refroidir le métal) et le feu (pour forger).
— Le charbon de forge peut atteindre une température d’environ 1600 degrés Celsius.
— Pour forger, il faut du charbon, une enclume, un marteau et de la poudre de borax (pour éviter l’oxydation).
— À la fin de sa formation, l’apprenti forgeron saura faire des trous dans le métal, souder deux pièces ensemble et scinder le métal.
— Les métaux par excellence sont le fer et l’acier en raison de leur solidité et de leur durabilité.
— Un bon apprenti peut devenir forgeron après environ trois ans.