Le trésor de Barbe-Noire
Par un beau matin de juin 1718, quelques mois avant sa mort, Barbe-Noire fit couler son trois-mâts, digne des reproductions hollywoodiennes, au large de Beaufort – un petit port bien tranquille de Caroline du Nord. Puis, il prit la poudre d’escampette avec quelques fidèles compagnons et son trésor de guerre.
Son butin ne sera sans doute jamais retrouvé, mais l’épave du Queen Anne’s ReÂvenÂge, le vaisseau-étendard du flibustier le plus célèbre du XVIIIe siècle, l’a été. C’était le 21 novembre 1996. Quinze ans plus tard, l’ancre de 3 000 livres du navire a été remontée. C’était le 27 mai dernier. «Il y en a trois autres!» lance l’archéologue David Moore. Sa fébrilité est palpable à l’autre bout du fil. «Vous savez, cela fait au moins 30 ans que je reÂcherche Barbe-Noire et son navire», un bâtiment français que le pirate attaqua en 1717, rebaptisa Queen Anne’s Revenge et transforma en somptueux navire aux cabiÂnes confortables.
Huit mètres de fond
Servant au commerce des esclaves, le Concorde avait de quoi impressionner : 36 mèÂtres de long, 100 tonnes.
Le navire gît par seulement huit mètres de fond. Il est recouvert d’une couche de 30 centimètres de sable et
ne pourra être remonté en un seul morceau.
«En 15 ans, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai plongé pour voir le navire. Il y a des fois où je l’ai vraiment vu, quand la visibilité était bonne. Mais, la plupart du temps j’ai fait de l’archéologie en braille, en le touchant», explique Moore, 56 ans.nQuand on vit littéralement dans l’ombre de Barbe-Noire, de son vrai nom Edward Teach, cela a de quoi vous secouer. David Moore ne le cache pas. Il a dû être pirate dans une vie antérieure.
Sa barbe n’a cependant rien à voir avec celle de son héros, qui n’était pas si cruel que les récits d’époque le dépeignent.
Celle de Barbe-Noire était sale, broussailleuse, descendant jusqu’à une ceinture ornée de six pistolets et d’autant de couteaux bien pointus. Le célèbre flibustier plaçait également des fumigènes entre sa tête et son chapeau. Les pirates superstitieux – ils l’étaient tous – croyaient dur comme fer être devant le fils du diable. Jack Sparrows, le personnage joué par Johnny Depp, en est convaincu, lui qui se bat contre Barbe-Noire dans sa dernière aventure de Pirate des Caraïbes.
Détrousser les équipages
«Barbe-Noire était un acteur né, un des rares pirates à savoir lire et écrire. Il a sans doute lu Barbe bleue, de Charles Perrault, vous savez, ce monstre du XVIIe siècle qui tua ses six épouses (Barbe-Noire en avait 14, dit-on, mais il était plutôt tendre avec chacune d’entre elles) et servit si longtemps de croquemitaine pour effrayer les enfants», expliÂque Moore. «Eh bien, Edward Teach avait vite compris qu’en se faisant passer pour un monstre sanguinaire, il n’aurait pas toujours à se battre pour détrousser les équipages.»
D’ailleurs, sa seule présence sur le pont, avec sa barbe aux longues tresses décorées de rubans multicolores (il était réputé pour son extravagance), suffisait à effrayer ses pires ennemis qui avaient eu vent de sa légendaire férocité. En 27 mois à courir les mers comme pirate, Barbe-Noire aurait pillé entre 50 et 100 navires. Un exploit pour un écumeur des mers du XVIIIe siècle.
En ce siècle des Lumières, les pirates sans foi ni loi, héros mythiques et sublimés, aventuriers et romantiques, tombent comme des mouÂches, remplacés par des corsaires mi-gendarmes, mi-voleurs. Ils ne pillent désormais plus pour l’appât du gain, mais pour leur pays et leur souverain, à qui ils versent une partie de leur butin.
L’île de la Tortue, au nord de Haïti, qui avait longtemps été le quartier général des pirates, est désertée. Les Frères de la côte, leur confrérie où l’on célébrait à coups de rhum la fréquentation quotidienne de la mort, se vide de ses membres (dont près du quart étaient d’anciens esclaves). Quelques hors-la-loi résistent pourtant. Barbe-Noire était de ceux-là. L’alcool, l’or et le sang ont coulé à flot, durant son court règne.
Beaufort, ville de Barbe-Noire
Aujourd’hui, le flibustier anglais – il a vu le jour à Bristol – est une bénédiction pour la Caroline du Nord. Tout le monde aime les histoires de pirates. Beaufort, aves ses 5 000 habitants, est désormais la ville de Barbe-Noire. Au total, une centaine
de navires des XVIIe et XVIIIe siècles dormiraient au large des côtes de la Caroline du Nord… avec leurs cargaisons d’or. Plusieurs auraient appartenu à des pirates qui se réfugiaient dans les nombreuses criÂques de cet État après avoir œuvré dans la mer des Antilles, propice à toutes les attaques.
C’est d’ailleurs dans l’une d’entre elles, à Ocracoke Inlet (baptisée depuis Teach’s Hole – le trou de Teach) que Barbe-Noire fut décapité. Lorsque le moussaillon anglais commença à lui trancher la gorge, Barbe-Noire étonné lui aurait lancé : «Bien joué, l’ami!» avant de perdre complètement la tête et d’entrer de plain-pied dans la légende de la piraterie.
Longtemps, le lieutenant Robert Maynard, venu le capturer au nom du roi George Ier en novembre 1718, accrocha sa tête à l’un des mâts de son navire. Elle finit par pourrir et tomba sans doute à la mer. Edward Teach – à moins que ce ne soit Thatch, Thach, Thache, Thack, Tack, ThatÂche, Theach… ou encore Drummond, bref Barbe-Noire – se promène, dit-on, certains soirs avec un lampion en demandant de sa voix rocailleuse: «Où est ma tête?» Depuis la découverte du Queen Anne’s Revenge, la petite équipe du Musée maritime de la Caroline du Nord, dont David Moore est le conservateur, semble avoir perdu complètement la sienne chacun se démenant comme un forçat pour s’approprier les reliques du Queen Anne’s Revenge.
Une cloche en bronze, des canons, des ustensiles ont été retrouvés ces dernières années… mais aucun trésor. «Nous devrions terminer nos fouilles d’ici 2013. Des milliers d’objets se trouvent encore sous l’eau», explique David Moore. Parmi les objets manquants, la tasse d’argent dans laquelle Barbe-Noire aimait boire son rhum. «Je doute qu’elle soit encore au fond. En coulant le navire, il a dû la prendre, avec tous les objets de valeur», conclut-il. On ne récupère pas facilement le trésor d’un pirate.