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Liberté de création et droits des minorités

Canadian playwright, actor, film director and stage director Robert Lepage, of Quebec City, speaks to reporters at the National Arts Centre in Ottawa on November 10, 2010. Lepage says he's cancelling the upcoming stage show "Kanata" after North American co-producers withdrew their interest in the project. THE CANADIAN PRESS/Sean Kilpatrick Photo: Sean Kilpatrick/La Presse canadienne

Je respecte énormément les artistes et les créateurs et je crois profondément au caractère sacré de la liberté de création et d’expression. L’art doit être libre ou il n’est pas. Sans liberté, l’art devient propagande et endoctrinement, fade, sans âme aucune. Pensez à l’Union soviétique. C’est dans la liberté que l’artiste transcende les tabous, ouvre les portes, repousse les limites, déconstruit les idées reçues et désagrège les frontières établies. Ainsi, l’art nous émeut, nous choque, nous affronte, nous fait rire et pleurer, nous fait réfléchir. Il nous fait vivre.

Je crois aussi que l’œuvre, une fois exposée au public, n’appartient plus à l’artiste. Elle devient une propriété collective, partagée. Nous sommes alors totalement libres de l’aimer, de l’adorer et de l’idolâtrer, ou de la détester, de la haïr et de la maudire. Évidemment, l’artiste peut, et dans certains cas doit, défendre son œuvre et développer son point de vue, mais il ne peut aucunement nous obliger à l’apprécier ou à en saisir le sens. L’art étant subjectif, partial et personnel, il ne peut être consensuel : il serait alors ordinaire et commun. D’ailleurs, un artiste dont les œuvres plaisent à tous devrait se poser de sérieuses questions sur le sens de son travail.

Quelquefois, il arrive qu’il y ait rupture et choc violent entre l’artiste et une partie de son public. C’est dans la nature et les périls du métier. C’est ainsi. Quand l’artiste prend le risque louable d’aborder des sujets aussi délicats et bourrés de charge émotionnelle que sont l’esclavagisme ou l’histoire des Autochtones du Canada, il doit s’attendre à des réactions émotives et émotionnelles fortes. Il doit assumer. Soit il défend son point de vue et son œuvre jusqu’au bout, soit il adapte son travail à une autre opinion.

Robert Lepage n’a pas flanché.

J’ai beaucoup d’admiration pour «Bob», une icône incontournable de la culture québécoise. Son œuvre est aussi importante et essentielle que celles des monuments de l’art et de la culture québécois: Riopelle, Borduas, Deschamps, Nelligan, Arcand, Ferron, Charlebois, Laferrière, Dion, etc. Admirable.

J’ai aussi beaucoup de respect pour les minorités militantes, noires et autochtones notamment. Je les comprends parfaitement et je soutiens beaucoup de leurs revendications. Moi-même, je fais partie d’une minorité mal comprise et mal représentée. J’ai déjà assisté à des représentations artistiques qui étaient censées rendre hommage à la culture arabe, de bonne foi certes, mais qui me laissent un arrière-goût amer: c’étaient en fait des caricatures stéréotypées, grotesques, fausses, et ridicules. C’est comme ce journaliste français qui a récemment enchaîné les clichés et les faussetés à propos de Montréal et des Québécois… Ça nous indigne et ça nous frustre, avec raison.

Cette affaire de SLĀV et de Kanata est un conflit entre la liberté de création et les droits des minorités. Était-il possible de dialoguer plus et mieux, de trouver des compromis, de s’entendre et de faire la paix? J’ose croire que oui. Nous avons lamentablement échoué cette fois.

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