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La famille de Nicholas Gibbs poursuit la Ville de Montréal

Ryan Remiorz / La Presse Canadienne Photo: Ryan Remiorz
Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — La famille de Nicholas Gibbs, ce jeune père de famille de 23 ans abattu par les policiers montréalais le 21 août dernier, a déposé mardi une poursuite de plus de 1,1 million $ en dommages moraux et punitifs contre la Ville de Montréal.

La famille, ainsi que des proches et des membres de groupes communautaires, ont rencontré les médias mardi matin pour faire part de leurs intentions et présenter une courte vidéo de deux minutes et 55 secondes.

«Si cette vidéo n’existait pas, nous ne serions probablement pas ici avec vous aujourd’hui», a déclaré le militant des droits civiques et ancien policier de la GRC Will Prosper.

Dans cette vidéo tournée par un citoyen depuis la fenêtre d’un édifice voisin de l’événement, on aperçoit les policiers faire feu à cinq reprises en direction du jeune homme, les deux dernières balles étant tirées alors qu’il leur tourne le dos.

«Il n’y a rien au monde qui pourrait justifier les deux dernières balles tirées dans le dos, à part vouloir exécuter cette personne», a affirmé M. Prosper.

On peut également y constater que les policiers crient à plusieurs reprises et en même temps, en français, au jeune homme de ne pas bouger, mais Nicholas Gibbs, qui ne parlait pas français, continue de marcher calmement sans obtempérer à cet ordre répété de s’immobiliser.

Selon la version policière, Nicholas Gibbs s’avançait vers eux avec un couteau. La vidéo ne permet pas de confirmer qu’il avait un couteau, mais en aucun temps n’est-il apparu menaçant, bien que les images ne présentent qu’une minute de l’intervention précédant les coups de feu, qui ont tous été tirés en cinq secondes.

«La personne la plus calme dans cette vidéo, c’est « plate » à dire, c’est Nicholas Gibbs», a fait valoir Will Prosper.

«Le ou les policiers qui ont tiré ne se sont jamais préoccupés du résultat du premier tir avant de passer au deuxième, ne se sont jamais préoccupés du résultat du deuxième avant de passer au troisième», a fait valoir l’un des avocats de la famille, Me Alain Arsenault.

«Il est possible de blesser une personne avec une arme à feu et de ne pas le tuer, mais encore faut-il qu’il y ait une volonté de regarder la situation», a ajouté l’avocat.

«Il faut que ça cesse»

Participant à la conférence de presse, la mère de Nicholas Gibbs, Erma Gibbs, était inconsolable alors qu’elle tenait la petite Angel Bartley Gibbs, 10 mois, dernière des trois enfants de son fils.

«Je veux que ces policiers soient accusés parce que mon fils n’avait pas à mourir comme ça», a-t-elle affirmé, un appel repris par Jeremy Gibbs, le neveu de son fils qui le considérait plutôt comme son frère, les deux hommes ayant le même âge.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales ne prendra toutefois aucune décision quant à d’éventuelles poursuites criminelles contre les policiers impliqués avant d’avoir reçu et analysé le rapport du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), rapport qui n’est pas attendu avant plusieurs mois.

«Tous les policiers ne sont pas mauvais, mais ils doivent être formés comme il faut, ils doivent être éduqués pour savoir comment travailler avec des gens de différentes nationalités dans cette ville», a ajouté Mme Gibbs, qui a dénoncé au passage le comportement des policiers dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, qui «peuvent être très agressifs avec les jeunes Noirs».

«On n’a pas à subir ça. Il faut que ça cesse», a-t-elle affirmé, alternant entre les larmes et la fermeté.

Tant la famille que ses avocats et ont pointé les policiers du doigt pour ne pas avoir tenté de parler au jeune homme.

«Les policiers sont formés pour intervenir dans ce genre de situation-là; ils sont formés en désescalade», a fait valoir Me Virginie Dufresne-Lemire, qui représente également la famille.

«Couteau ou pas, cette intervention aurait dû se terminer autrement», a-t-elle laissé tomber.

Le SPVM critiqué par le BEI

On a aussi présenté une lettre de la directrice du BEI, Madeleine Giauque, au directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Martin Prud’homme, dans laquelle elle reproche au SPVM de ne pas avoir respecté la loi et d’avoir procédé à des interrogatoires de témoins, d’avoir soumis leurs déclarations à ses enquêteurs, le tout avant l’arrivée des enquêteurs du BEI.

Me Giauque note que cette façon de faire se répète «dans plusieurs, sinon la totalité, des enquêtes du SPVM», alors que la loi prévoit, dans de tels cas, que les policiers sécurisent la scène et s’en écartent jusqu’à l’arrivée des enquêteurs du BEI sans interroger les témoins et sans remettre les témoignages aux enquêteurs. Me Giauque ajoute que «le SPVM est le seul corps policier à agir ainsi à travers la province».

Me Arsenault a vigoureusement dénoncé l’absence de tout changement dans les méthodes du SPVM.

Il a fait valoir que les dix derniers décès aux mains des policiers, soit depuis la mort de l’itinérant Alain Magloire en février 2014, ont tous impliqué des personnes présentant des problématiques particulières.

Neuf de ces victimes étaient en crise, quatre étaient des personnes de couleur noire, quatre étaient des itinérants et deux présentaient des problèmes de toxicomanie.

Dans le cas d’Alain Magloire, le coroner Luc Malouin avait notamment recommandé une formation plus adaptée aux policiers et l’augmentation du nombre de pistolets électriques.

«Depuis la dernière enquête du coroner sur le sujet (…) y a-t-il quelque chose de changé en matière d’intervention des policiers auprès d’une clientèle vulnérable? La réponse est non», a déploré Me Arsenault.

«Les élus ne peuvent pas ou ne veulent pas donner des directives claires aux services de police concernant les moyens moins violents pour intervenir auprès d’une clientèle en crise, en situation d’itinérance, avec des problèmes de toxicomanie et surtout s’ils sont membres d’une minorité visible», a accusé l’avocat.

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Liste des 10 derniers décès aux mains du SPVM

– Alain Magloire, décédé le 3 février 2014 à l’âge de 41 ans

Personne noire en crise, en situation d’itinérance

– René Gallant, décédé le 31 mai 2015 à l’âge de 45 ans

Problème de toxicomanie

– Sylvain Beauchamp, décédé le 13 mars 2016 à l’âge de 53 ans

Problème de toxicomanie

– Bony Jean-Pierre, décédé le 4 avril 2016 à l’âge de 46 ans

Personne noire

– André Benjamin, décédé le 25 avril 2016 à l’âge de 63 ans

Personne en crise

– Jimmy Cloutier, décédé le 6 janvier 2017 à l’âge de 38 ans

Personne en crise, en situation d’itinérance

– Koray Kevin Celik, décédé le 6 mars 2017 à l’âge de 28 ans

Personne en crise

– Noam Cohen, décédé le 15 juin 2017 à l’âge de 27 ans

Personne en crise

– Pierre Coriolan, décédé le 27 juin 2017 à l’âge de 58 ans

Personne noire en crise

– Nicholas Gibbs, décédé le 21 août 2018 à l’âge de 23 ans

Personne noire en crise

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