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Pas de retraite pour Carmen, travailleuse sans-papiers de 65 ans

Femme sans-papiers
Malgré leur contribution à la société, les travailleurs sans-papiers n’ont aucune protection sociale ou en cas d’accident de travail, n’ont pas accès aux services de santé gratuits et n’ont pas droit à des prestations de retraite. Photo: iStock, Stevanovicigor

La plupart des travailleurs au Canada peuvent s’attendre à récolter le fruit de leur travail une fois l’âge de la retraite atteint. Or, l’horizon est plutôt sombre pour les milliers de travailleurs essentiels sans statut qui n’ont pas droit à une retraite méritée, et ce, même s’ils ont passé de nombreuses années sur le marché du travail.

L’heure a sonné pour Carmen*, qui a atteint l’âge de 65 ans. Bien qu’elle ait travaillé 12 ans au Québec, elle ne cessera pas de travailler de sitôt, car elle n’a droit à aucune prestation de retraite.

«Je vais travailler aussi longtemps que mon corps me le permettra, et lorsque je ne pourrai plus travailler, je devrai rentrer au bercail, les mains vides», lance la travailleuse mexicaine, qui a quitté son pays et sa famille en 2009 avec son conjoint en raison de l’insécurité et l’instabilité économique.

Des années parties en poussière

Carmen et son conjoint Carlos*, 55 ans, possédaient un permis de travail jusqu’à ce qu’ils aient perdu leur statut migratoire en 2012 après le rejet de leur demande d’asile au Canada.

Depuis dix ans, le couple mexicain subvient à ses besoins en travaillant plus de 12h quotidiennement, du dimanche au vendredi. Le couple s’occupe de l’entretien ménager de bureaux administratifs du gouvernement le soir, d’une tour de bureaux d’une quinzaine d’étages la nuit et de condominiums résidentiels le jour, avec une rémunération moyenne de 11 $ de l’heure.

Pour nous, il n’y aura pas de retraite. Même si on contribue à la société depuis plusieurs années, on n’aura rien en retour.

Carmen, travailleuse mexicaine sans-papiers à Montréal

«Il y a beaucoup de gens dans la même situation; nous ne sommes pas les seuls. J’ai encore dix ans devant moi avant d’avoir 65 ans, mais à la fin, on ne reconnaîtra pas les 23 années que j’aurai travaillées», souligne Carlos.

Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM) estime que le nombre de migrants sans-papiers au Canada se situe entre 20 000 et 500 000.

Régulariser les travailleurs sans statut

Des dizaines d’organisations de la société civile, du travail, de la santé et de l’environnement se joignent à la mobilisation en faveur de la régularisation de toutes les personnes sans statut en territoire canadien, dans le but de faire reconnaître les droits de milliers de travailleurs qui contribuent actuellement au fonctionnement de la société.

«Notre système d’immigration est en train de glisser sur une pente qui mène à la précarité, la peur, l’exclusion et l’exploitation. On est en train de devenir le genre de pays qu’on regardait de haut avant», soutient Marie-Hélène Bonin, conseillère syndicale à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), participante au débat public sur la régularisation des personnes sans-papiers organisé par Amnistie internationale Canada le 19 décembre à Montréal.

Douze mois après que Justin Trudeau eut confié au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, le mandat de «poursuivre l’exploration de moyens de régulariser le statut des travailleurs sans-papiers qui contribuent aux communautés canadiennes», les critères du programme ne sont toujours pas établis.

«Tout ce que nous voulons, c’est l’opportunité de vivre sans peur et de travailler sans se faire exploiter. Le stress nous ronge la santé», souligne Carmen, qui déplore le fait que les travailleurs sans-papiers sont exclus du système de santé.

«Mon conjoint souffre du diabète depuis quelques années, mais il n’a pas droit à un suivi médical régulier». Du haut de ses 65 ans, elle se dit encore «en forme», mais craint de développer une maladie qui l’empêcherait de continuer à travailler.

Le gouvernement veut amener des immigrants pour combler la pénurie de main-d’œuvre, mais il refuse de reconnaître que nous sommes ici à travailler fort depuis longtemps.

Carlos, travailleur mexicain sans-papiers à Montréal

S’attaquer aux enjeux systémiques

Marisa Berry Méndez, responsable des campagnes tactiques chez Amnistie internationale Canada, déplore que le système d’immigration canadien soit encore le reflet de celui mis en place dans les années 70 avec «une vision utilitaire des êtres humains». Elle réclame un système plus humain et qui cesserait de valoriser uniquement «certains types de travail».

Un programme de régularisation serait un grand gain, mais il faut aller plus loin et régler les enjeux systémiques du programme d’immigration, qui laissent place à l’exploitation et à la violation des droits humains.

Marisa Berry Méndez, Amnistie internationale Canada

«La CSN va continuer à réclamer la régularisation des demandeurs d’asile et des travailleurs et travailleuses sans statut qui sont déjà ici. Il faut garder le Québec ouvert à un monde qui est en conflit, en guerre, en crise climatique, qui menace les femmes et les enfants […] On ne peut pas fermer les yeux là-dessus», soutient Marie-Hélène Bonin.

Une dernière chance

Les demandeurs d’asile déboutés, comme Carmen et Carlos, peuvent faire une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire pour tenter de régulariser leur statut lorsqu’aucun autre programme d’immigration au Canada ne s’applique à eux. Il s’agit habituellement d’un dernier recours.

Le couple attend actuellement la réponse du gouvernement à sa demande. «Notre avenir est incertain mais nous gardons encore l’espoir que quelque chose de bon nous arrive», affirme la travailleuse de 65 ans.

*Les noms des travailleurs sans-papiers ont été modifiés dans l’article afin de protéger leur identité.

Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.

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