[ENQUÊTE] Des chercheurs d’emplois floués par une agence montréalaise
Convaincus d’avoir été floués, plusieurs jeunes et nouveaux arrivants se sont tournés vers les médias sociaux pour dénoncer la «fraude» dont ils se disent victimes: une formation vendue par une agence de recrutement d’employés en restauration. L’enquête de Métro a révélé que cette entreprise a recours à des techniques d’hameçonnage pour tirer profit de gens sans expérience à la recherche d’un emploi.
«On m’a vendu du rêve»
Mikaël* vit à Montréal depuis quelques mois. En janvier dernier, sur le site de petites annonces Emplois Resto Montréal, il tombe sur une offre d’emploi alléchante: un établissement recherche des «barmans, busboys ou serveuses» «avec ou sans expérience» et promet un «salaire très compétitif».
Tenté par cette annonce puisqu’il n’a aucune expérience en restauration, le nouvel arrivant pose sa candidature et est rapidement convoqué en entrevue. Toutefois, ce n’est pas un propriétaire de restaurant ou un gérant de bar qui lui répond mais bien le Mentoring Service for Small and Medium Businesses of Canada (MSMB), une agence de placement en restauration créée par Simon Primeau et Guillaume Giraud en novembre 2016. «Ç’a été ma première surprise: je m’attendais à [faire affaire avec] un établissement», a relaté Mikaël à Métro.
Sous un nom d’emprunt, Métro a répondu à une annonce similaire, trouvée au hasard. Moins de 24 heures plus tard, l’agence a répondu et transmis une convocation pour une entrevue dans ses bureaux situés au 1000 de la Gauchetière. Au moment de mettre sous presse, l’offre était toujours sur le site.
L’annonce du site Emplois Resto Montréal à laquelle Métro a répondu.
Métro a rencontré plusieurs anciennes recrues du MSMB. Leur histoire est toujours la même. Lors de l’entrevue initiale, les candidats apprennent rapidement qu’il n’y a pas nécessairement d’emploi qui les attend. La raison de leur convocation est moins alléchante que l’offre publiée sur internet: on leur propose une place dans l’agence.
Le MSMB propose à ses candidats de faire partie d’une banque d’employés où plusieurs établissements viennent recruter du personnel. Aucun pourcentage ne sera prélevé sur leur salaire s’ils sont placés par l’agence.
Alors, d’où proviennent les revenus? La réponse, qui se trouve sur le contrat signé par tous les candidats du MSMB, est plutôt floue: «Je reconnais que MSMB Canada reçoit des revenus de diverses sources pour ses activités de placement de personnel. Ces revenus peuvent, entre autres, provenir des employeurs clients, des candidats et des écoles spécialisées directement et indirectement liés à l’administration de MSMB Canada.»
Selon le code de déontologie de l’Association canadienne des agences de placement, les revenus doivent «provenir exclusivement des clients» et aucun frais direct ou indirect ne peut être chargé ni aux candidats, ni aux employés.
Les employés du MSMB font ensuite savoir aux candidats que leur profil convient parfaitement à l’entreprise. Dans chaque cas, on leur dit qu’une fois placés dans un établissement, ils pourraient gagner «au moins 200$ en pourboires» chaque jour.
Il y a toutefois un «petit problème» avec les candidatures des personnes à qui Métro a parlé: leur manque d’expérience. On leur propose alors une offre «qu’ils ne peuvent pas refuser»: une formation pour compenser. S’ils refusent, ils ne pourront pas se joindre au MSMB. Le cours en ligne coûte un peu plus de 300$.
«On m’a dit qu’aucun établissement ne voudrait me donner ma chance si je ne suivais pas cette formation.» – Mikaël, ancien client du MSMB
Plusieurs candidats ont révélé à Métro qu’au cours de la première rencontre, des employés leur «ont fait comprendre» qu’ils seraient assurément embauchés s’ils suivaient la formation appelée «Mieux servir». Dès qu’ils montraient de l’intérêt pour cette formation, on leur «faisait vite signer un contrat».
«Ils m’ont mis la pression pour que je paye rapidement», a ajouté le nouvel arrivant.
Les candidats ressortent de l’entrevue convaincus qu’il s’agit du moyen le plus efficace pour se trouver un emploi rapidement. Les personnes interrogées n’ont plus entendu parler du MSMB après avoir complété le cours. Mikaël ne fait pas exception. «On m’a vendu du rêve», se désole-t-il.
Même chose pour Charline, qui a aussi fait affaire avec cette agence. «On m’a dit que je pouvais m’attendre à une bonne perspective d’emploi, relate-t-elle. Je pense que je me suis fait avoir.»
«Mieux servir», la formation vendue par l’agence, appartient aussi à Simon Primeau et Guillaume Giraud, selon le registre des entreprises du Québec.
Toutes les personnes qui se sont confiées à Métro étaient soit de nouveaux arrivants, soit des jeunes sans expérience. Depuis, Mikaël a bien trouvé un emploi dans l’industrie, sans l’aide du MSMB. La formation «Mieux servir» n’apparaît pas sur son CV.
«C’est de l’hameçonnage»
Les bureaux du MSMB Canada sont situés à Montréal. – Crédit photo: Josie Desmarais
Cette technique de recrutement pourrait bien violer plusieurs articles de la Loi sur la protection du consommateur, soutient le président du comité consultatif du Barreau du Québec en matière de protection des consommateurs, Luc Thibaudeau.
«On ne peut pas, dans une représentation qu’on fait à un consommateur, passer sous silence un fait important. L’annonce [sur Emplois Resto Montréal] ne parle pas d’un service de placement, elle parle d’une offre d’emploi», a-t-il fait valoir.
«La question qu’on peut se poser, c’est celle-ci: dans tout ce processus, y a-t-il quelqu’un qui profite de la faiblesse économique de la personne à qui on fait miroiter des chances d’emploi relativement favorables?» a ajouté Me Thibaudeau.
«[Ce cas], c’est une série de fausses représentations et d’omissions. Je suis très à l’aise de dire que c’est une pratique interdite.» – Marie Annik Grégoire, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal
Quand Métro leur a fait état des accusations portées par d’anciens candidats de leur agence, les propriétaires du MSMB n’ont rien nié: ils sont au courant depuis longtemps. «On est conscients qu’on dérange, qu’on offre un service qui est extrêmement de qualité [sic]. Neuf employeurs sur dix refont affaire avec nous. Nos statistiques sont impeccables», s’est défendu Simon Primeau. Plusieurs avis positifs sont associés à cette entreprise sur plusieurs plateformes de commentaires. Il a été impossible de vérifier la véracité de ces propos.
Métro a voulu rencontrer certaines personnes pour qui la formation avait fonctionné, mais la «politique de confidentialité [du MSMB] empêche» l’entreprise de donner des noms, a indiqué Guillaume Giraud par courriel.
Les deux hommes ont précisé que les candidats intéressés à faire affaire avec l’agence doivent signer un contrat avant leur entrevue. «C’est [écrit] noir sur blanc que ce n’est pas une promesse d’embauche […]. On est très transparents», a insisté M. Primeau.
C’est vrai. «Dans l’éventualité où votre candidature est retenue par notre service de placement, votre insertion dans notre banque de candidatures, division restauration, ne constitue pas une promesse d’embauche [sic]. Les employeurs, clients de MSMB Canada, division restauration, peuvent ne pas donner suite à votre embauche si vous n’avez pas le profil recherché ou pour tout autre motif», stipule le contrat.
«Ça ne change rien, ce contrat-là, a assuré Me Thibaudeau. Le problème, c’est que ce qui est annoncé [sur Emplois Resto Montréal], c’est [un emploi], et que, quand [ils arrivent là], on [leur] vend un cours. On se sert de l’offre d’emploi pour offrir un produit de consommation.»
Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option Consommateurs, est du même avis. «Un commerçant est responsable de ses représentations, même verbales», a-t-elle indiqué.
Les propriétaires du MSMB ont été surpris lorsque Métro leur a mentionné qu’on leur reprochait d’exercer des pressions sur les candidats pour qu’ils achètent le cours «Mieux servir».
«Ils arrivent ici sans expérience, on leur dit: “Parfait, ça nous fait plaisir de vous rencontrer, on vous explique comment ça marche dans cette industrie-là.” Il y a deux moyens, d’habitude, pour avoir un emploi: avoir deux ans [d’expérience] minimum ou avoir les compétences de base», a insisté Simon Primeau.
«On n’est pas là pour te vendre du rêve.» – Simon Primeau, propriétaire du MSMB Canada
Selon les propriétaires de l’agence, les candidats déçus sont des cas isolés, qui ne leur auraient pas communiqué leurs impressions.
«Si c’était une garantie pour toi que tu allais avoir un travail, eh bien, on a fait tout notre possible. On va continuer la semaine prochaine. Voici le contrat de service que t’as signé, c’est écrit que ce n’est pas une promesse d’embauche», s’est défendu Simon Primeau.
Une section du contrat de service stipule pourtant que la formation permet aux candidats «d’augmenter [leurs] chances» d’obtenir un emploi: «Je comprends que les conditions d’acceptation au service de placement sont des exigences utiles qui me permettent d’augmenter mes chances de succès d’embauche auprès des employeurs clients de MSMB Canada et que c’est l’excellence des candidatures offertes à ses clients qui distingue MSMB Canada des autres services de placement de personnel», peut-on lire.
Cas isolé ou pas, les pratiques du MSMB relèvent tout de même de «l’hameçonnage», tranche Me Thibaudeau. «Si c’est vrai que leur taux de placement est bon, ça ne change rien au fait que ce qui pousse le consommateur à aller [vers le MSMB], c’est qu’il n’y a aucune expérience requise. C’est effectivement de l’hameçonnage», a fait valoir l’avocat.
Les anciens candidats de cette agence pourraient soumettre leur cas aux tribunaux, a soutenu Me Thibaudeau. «Il faut se demander si leur consentement a été vicié et s’ils se sont fait exploiter par l’entreprise. Si oui, il pourrait effectivement y avoir recours en justice, au tribunal des petites créances.»
Un recours qui pourrait être difficile à fonder, selon Sylvie De Bellefeuille. «Quand [une entente] est verbal[e], ça devient l’un contre l’autre. Et ça devient une question de crédibilité», a-t-elle nuancé.
«Mais c’est là toute la question: pour 300$, qui va aller en cour?», a demandé l’avocat spécialisé dans le droit des consommateurs.
Du déjà-vu
«C’est une situation dont on a déjà entendu parler», a appris Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option Consommateurs, à Métro. Elle n’a pas été en mesure de nommer des entreprises en particulier.
Et ce n’est pas la première fois que Simon Primeau et Guillaume Giraud sont associés à de pareilles techniques de recrutement. Une autre agence, fermée au début de l’année, semble avoir utilisé les mêmes tactiques que le MSMB pour faire acheter une formation censée compenser un manque d’expérience: la SEPMEQ. Dans ce cas aussi, les annonces mentionnaient qu’aucune expérience n’était requise. Sa réputation dans les médias sociaux est remise en cause par plusieurs dizaines de personnes qui pensent avoir été «arnaquées» par l’agence.
Au printemps 2016, Maude avait besoin d’un emploi. D’après son témoignage, l’annonce qui a attiré son attention ne précisait pas qu’il s’agissait d’une agence de recrutement. En entrevue, on lui a dit que le restaurant qui recrutait exigeait que ses employés suivent une formation de bar: celle de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), qu’on s’empressait de qualifier de «trop longue» et «trop chère», ou une autre formation, plus «avantageuse»: BarService.
Il s’avère que BarService est un autre nom sous lequel la SEPMEQ est enregistrée au registre des entreprises.
Jessica a quant à elle raconté à Métro qu’à l’été 2015, la SEPMEQ lui a dit que si elle suivait le cours en ligne, elle «serait placée tout de suite». Jeremy, lui, s’est fait promettre des pourboires de 200$ par soir s’il suivait cette formation.
En un an, la SEPMEQ a reçu deux mises en demeure pour pratiques trompeuses et déloyale. La dernière est datée du 6 décembre 2016: moins d’un mois avant sa dissolution.
Comme le MSMB, la SEPMEQ relevait de Simon Primeau et de Guillaume Giraud. «La SEPMEQ n’était pas à nous, mais nous étions en charge des opérations. [La propriétaire] a décidé de [se concentrer sur] d’autres projets]. Par la suite, on a décidé de continuer ce projet-là avec MSMB Canada», a précisé M. Primeau.
Et en ce qui concerne les pratiques «douteuses» dénoncées dans les médias sociaux, le duo se déresponsabilise en rappelant qu’il n’a jamais été propriétaire de l’entreprise. Pourtant, quand Métro a communiqué avec Karine Sicot, l’ancienne propriétaire, celle-ci a expliqué que MM. Primeau et Giraud seraient «les mieux placés pour répondre aux questions, puisqu’ils [étaient] en charge des opérations».
Les anciens candidats sont convaincus que le MSMB est un calque de la SEPMEQ. Les techniques utilisées semblent très similaires.
*À la demande des anciens candidats, leurs noms de famille n’ont pas été utilisés.
En collaboration avec Laurence Gagnon