Dr Nicolas Steinmetz: «Le public va être émerveillé»
Au début des années 1990, le Dr Nicolas Steinmetz a eu l’idée de réunir cinq hôpitaux de Montréal en un seul. Vingt ans plus tard, son rêve va enfin se réaliser. À un an, presque jour pour jour, de l’inauguration du mégahôpital du Centre hospitalier de l’université McGill (CUSM), Métro a rencontré celui qui a dirigé le bureau de la planification du CUSM de 1995 à 2003.
Comment vous est venue l’idée de bâtir un mégahôpital à Montréal?
En constatant les problèmes de nos établissements actuels. Premièrement, ils ne sont pas du tout flexibles ou adaptables à quoi que ce soit d’autre que les usages pour lesquels ils ont été prévus à l’époque. Ils ne pouvaient pas recevoir toute la technologie existante – les planchers n’étaient pas assez solides pour recevoir une machine de résonance magnétique, par exemple. Les salles d’opération étaient trop petites. On ne pouvait pas bouger les murs parce qu’ils étaient tous porteurs.
Quels sont les avantages d’un super hôpital?
On va partager toutes les ressources et les technologies dispendieuses. On n’aura plus 32 bâtiments différents à nettoyer et à chauffer à grands frais. Si vous allez dans le nouvel hôpital, vous n’allez jamais voir les services ménagers, les livraisons de biens ou les gens qui vont à la salle d’opération. Ça se fera dans des couloirs séparés des visiteurs. Vous ne pouvez pas aller voler un bébé, parce que tout employé aura une carte informatisée qui ouvrira certaines portes.
Comment le projet a-t-il démarré?
Il fallait créer une équipe expérimentée de jeunes, parce que c’est toujours par eux que se fait le changement, et pour mettre de l’avant un plan. On a créé deux douzaines de groupes de travail sur différents aspects de la médecine, comprenant des spécialistes médicaux et des patients, pour évaluer les besoins. La première présentation du projet que j’ai faite au ministère de la Santé a eu lieu en 1992. Le ministère a d’abord dit non. Il prétendait qu’on avait besoin de plus de lits d’hôpitaux, alors que de mon point de vue, il en fallait moins. À cause de la technologie, on commençait à faire beaucoup de traitements d’un jour et les patients restaient moins longtemps à l’hôpital. D’ailleurs, en 1992, les cinq hôpitaux participants, soit l’Hôpital de Montréal pour enfants, le Royal Victoria, l’Institut thoracique de Montréal, l’Institut de recherche du CUSM et le Centre du cancer, avaient environ 3000 lits. Sur le nouveau site Glen, on en disposera de 832. Le ministre de la Santé de l’époque a alors proposé de créer un comité chargé d’évaluer si les tendances étaient bien celles que j’avais vues et si l’idée était faisable. Les résultats ont confirmé ma vision des choses, et le projet s’est mis en branle avec l’aide du gouvernement.
Quels sont les bénéfices pour les patients?
Chaque patient aura sa propre chambre avec des toilettes et des douches, et les proches pourront dormir sur place. Les chambres sont assez grandes pour faire plusieurs interventions médicales sur place, de sorte que les services viendront aux patients et que ceux-ci auront rarement besoin de sortir.
La population devra toutefois s’adapter aux changements dans la philosophie des soins…
Les gens sont habitués depuis plusieurs générations à aller dans certains de nos hôpitaux pour des problèmes de première et de deuxième lignes, c’est-à-dire des soins moins graves et urgents, autant que pour des problèmes de troisième et quatrième lignes, soit des soins complexes qui nécessitent des spécialités de pointe. Maintenant, le CUSM, tout comme le futur CHUM, se concentrera uniquement sur des soins de troisième et quatrième lignes. C’est une orientation mise de l’avant par le ministère de la Santé depuis très longtemps, selon laquelle on devrait hiérarchiser les soins pour éviter que chaque établissement fasse de tout. Si vous avez une tumeur au cerveau, vous pourrez aller au CUSM, mais si vous avez une pneumonie à 20 ans ou une infection urinaire, on vous dira d’aller dans un hôpital plus petit, une clinique ou un CLSC.
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Les autres hôpitaux seront-ils prêts à recevoir plus de gens qui viennent pour des cas de première et de deuxième lignes?
C’est ça la grande question. Les instances publiques n’ont pas fait leur travail pour ouvrir des couloirs de services pour que ces gens puissent être traités ailleurs. Il faut faire des liens avec les cliniques, les CSSS et les CLSC pour organiser ces soins. Mais maintenant qu’on est dans une logique de coupures, je ne sais pas comment ça va se développer.
Pourquoi le projet a-t-il pris autant de temps à se réaliser?
Tout changement semble être difficile pour l’être humain, alors il y a eu une certaine forme de résistance. Les hôpitaux qui forment aujourd’hui le CUSM ont convenu de fusionner, mais il y a eu beaucoup de chicanes, de gens qui voulaient arrêter le processus, etc. Il y a eu environ huit ministres de la Santé différents depuis 1992 et il fallait rééduquer et reconvaincre tout le monde à chaque changement de gouvernement. C’était pénible, mais il fallait passer à travers ça.
Avez-vous été déçu par les problèmes graves de corruption qui ont été révélés dans les derniers mois?
Oui, comme tout le monde. Ça aurait pu être évité si le conseil d’administration avait fait son travail de surveillance et avait demandé des comptes. C’était son devoir et il ne l’a pas fait.