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Autopsie d’une peine raisonnable

De tous les domaines juridiques et judiciaires, celui du droit criminel trône assurément au sommet de l’intérêt citoyen. Et pour cause. Parce que depuis toujours, et bien au-delà de leur caractère souvent sensationnaliste, les questions afférentes à la criminalité, voire au traitement de celle-ci, réfèrent directement aux mœurs et à la moralité régissant nos vies sociétales. Parce que le droit criminel, peut-être plus que tout autre, se veut le droit des hommes et des femmes. Chacun, à juste titre, se sent d’attaque afin de juger de l’affaire.

La peine d’Alexandre Bissonnette ne fait pas exception. Excessive, juste ou insuffisante? Depuis la réforme conservatrice de 2011, il est permis aux magistrats de cumuler les peines en cas de meurtres multiples. Conséquemment, et même s’il était clair que Bissonnette était déjà condamné à vie, il restait à savoir s’il devait attendre 25 ans, comme à l’époque, ou davantage, vu la réforme en question. Précisément, et compte tenu des six meurtres en question, cette période d’attente aux fins de la libération conditionnelle pouvait atteindre les 150 ans. Aussi bien conclure, dans un cas semblable, à l’impossibilité biologique d’une quelconque libération potentielle.

Le problème? Que le système carcéral soit construit sur une prémisse aux antipodes de celle du système judiciaire. Qui souhaite la réhabilitation. Qui croit à une quelconque rédemption. Qui encourage la bonne conduite en prison. Qui permet l’expression de remords et de regrets. Même dans le cas des crimes les plus abjects. Comme en l’espèce.

Chacun, à juste titre, se sent d’attaque afin de juger de l’affaire.

Autre enjeu corollaire : les droits constitutionnels de l’accusé. La Charte canadienne protège en effet tout individu à l’encontre des peines considérées comme étant «cruelles et inusitées». L’incapacité biologiquement implicite de pouvoir un jour, même potentiellement, présenter une demande de libération risquerait fort de cadrer dans le rayon des droits définis par la Charte.

Ayant manifestement en tête ce qui précède, le juge Huot s’est ainsi laissé tenter par un pari des plus risqués : celui de réaménager le cadre législatif en y prévoyant quelques mots assurant la constitutionnalité de l’affaire. Du «reading in», dans le jargon. Cela lui permettant, ici, l’addition des années de sentence autrement que par blocs de 25 ans, comme le prévoyait la loi.

Il a ainsi fait d’une pierre deux coups. D’abord, parce qu’un délai de 150 ans, et même de 50 ans, pouvait sembler exagéré et risquait l’invalidation de la disposition pour les raisons présentées ci-haut. Ensuite, parce que décerner un simple 25 ans avant la libération aurait été, compte tenu du caractère odieux du crime, pratiquement risible.

Une bonne décision, donc? Oui, en ce sens que le délai de 40 ans décrété est raisonnable. Non, parce que quiconque dit «reading in», dit juge qui réécrit, purement et simplement, la loi. Pratique permise, certes, mais rarissime, et ce, pour une raison : sa légitimité est plutôt douteuse. Comment, en fait, permettre à un juge de jouer au… législateur?

Non, une autre solution, plus simple, aurait dû être envisagée : déclarer la réforme conservatrice inconstitutionnelle en ce qui concerne le cumul par blocs de 25 ans. Parce qu’à trop tenter de ménager la chèvre et le chou, on risque de fusionner les deux, avec un résultat discutable.

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