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Lettre aux mains sales

Frédéric Bérard

T’auras remarqué que mon titre renvoie aux mains sales, et non aux mains tachées de sang. Alors, relaxe. Suis pas dans l’affrontement. Plutôt la confidence, la discussion. La supplication, pratiquement. Et non, t’inquiète, je ne balancerai pas ici de nom. Parce qu’il te ferait trop plaisir de te draper dans l’autovictimisation, fidèle à tes habitudes, soit celles de renverser les fardeaux de culpabilité, de te poser comme martyr du débat public, de pleurer parce qu’on souhaite te bâillonner et te retirer ton permis de parole.

Alors non, je te nommerai pas. Parce que tel n’est pas l’objectif, je me répète, de la présente missive. Cela dit, si tu sens que cette dernière s’adresse effectivement à toi, alors prends-en de la graine. Autrement, bien entendu, laisse tomber. Mais pas, s’il te plaît, sans une sérieuse autocritique à la sauce Marx.

Je t’écris ceci, donc, parce que j’ai la chienne. La chienne d’être en train d’assister à l’effondrement des fondements du temple. Ceux qui assurent la cohésion sociale et la paix. Qui détruisent les contingences, inutiles à la chaleur humaine. Qui permettent aux minorités de vivre une vie paisible à l’abri de la haine, de la
démagogie et autres opérations politico-marketing visant à les crisser en bas de l’autobus. Qui conviennent d’un tissu sociétal où, partageant divers dénominateurs communs, l’individu jouit d’un humanisme ambiant.

Or, ces fondements du temple se voient actuellement assaillis par une horde, de plus en plus nombreuse, de barbares occidentaux. Ceux qui refusent les préceptes mentionnés ci-devant, lesquels, pensait-on, faisaient hier encore office de valeurs universelles, sanctifiées à même une déclaration post-Holocauste. Ceci, manifestement, expliquant cela.

À quand remonte la dernière fois où on t’a refusé un job ou un logement du fait de la couleur de ta peau? Quand t’a-t-on balancé, à grand coups de tweets présidentiels, de «retourner dans ton pays», même si t’es né sur place? Eh ben voilà.

Ainsi, et du fait de l’actuelle invasion barbare, dirait Arcand, ces mêmes acquis sont sur le point de relever de la chose passée. Et si je ne t’accuse pas d’avoir sur les mains le sang des dernières victimes des tueries de masse, je te soumets, sincèrement et sans animosité, que tu contribues, peut-être malgré toi, à refiler de l’oxygène aux hordes de barbares en question. À nourrir, subrepticement, leur haine de l’Autre. De la différence. De la diversité. Des minorités, quoi. En plus, on l’a vu récemment, de maintes libertés civiles acquises avec temps et hardiesse, notamment l’avortement.

J’exagère? Si tu veux.  Mais tu sais, ou devrais savoir, que de foutre dans la gorge du débat public des théories conspirationnistes débiles comme celle du «grand remplacement» ne peut qu’alimenter le feu, déjà imposant, du racisme et de sa violence afférente. Idem pour les concepts, inexistants d’ailleurs en sociologie, du «racisme antiblanc». À quand remonte la dernière fois où on t’a refusé un job ou un logement du fait de la couleur de ta peau? Quand t’a-t-on balancé, à grands coups de tweets présidentiels, de «retourner dans ton pays», même si t’es né sur place? Eh ben voilà.

Autre chose : tu trouves normal d’être suivi, cité et admiré par des groupes d’extrême droite? Pourquoi, selon toi? Est-ce à dire que tu es toi-même de cet acabit? Non. Cependant, coller un discours sans cesse à la limite de cette frontière ne peut que provoquer, chez la bête, la justification de ses actes diviseurs et mortifères.

En bref, et même si toi et tes potes avez contribué au déchirement du tissu social, ça va, on est prêt à passer la moppe pendant que vous lavez vos mains sales. Faudrait stopper la parade, cela dit. Remettre, genre immédiatement, le dentifrice dans le tube de la bêtise et de la haine. Chose possible? Va savoir. Mais l’autre solution conduirait, tu le vois, t’es pas con, au suicide sociétal.

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