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L’essence du jugement

violences sexuelles

On va faire quelque chose de spécial ensemble aujourd’hui. Je vais te faire voyager à travers mes yeux dans le pays qui pour moi est le plus beau sur cette terre.

Je t’avertis, tu y verras des choses difficiles, mais surtout tu pourras le faire dans le confort de ton chez-toi ou de l’endroit où tu liras ces lignes. Il faut juste que tu te prêtes au jeu. Essaie d’imaginer toutes les situations que je vais décrire dans ton contexte, dans ta réalité, et dis-moi comment tu réagirais!

Il est 6 h du matin. Tu prépares tes enfants pour leur première journée d’école.

Tu as réussi de peine et de misère à accumuler l’argent nécessaire pour payer le premier trimestre et acheter les fournitures scolaires. Avec un salaire mensuel de 120$, c’est presque un miracle que tu aies réussi cet exploit.

Sur le chemin de l’école, tu aperçois des barricades et des pneus enflammés. Tu refuses de courir un risque, tu rebrousses chemin. Tu ne comprends pas ce qui se passe. Tu as peur et tu essaies de rassurer les enfants.

Arrivé à la maison, tu prends conscience de l’ampleur de la situation. Tu vois des images de terreur défiler aux nouvelles, mais tu ne comprends toujours pas pourquoi la situation a dégénéré de la sorte. Le gouvernement reste silencieux, la police n’intervient pas et le chaos s’intensifie. Des jeunes prennent les rues, sèment la terreur. La colère gronde dans la population. Tu es découragé.

Ça fait maintenant sept jours que la situation perdure sans que tu puisses sortir de ta maison.

Pas moyen de te ravitailler en eau ou en nourriture. Ça fait trois jours que tu fonctionnes strictement sur la génératrice pour te fournir de l’énergie. La compagnie d’électricité n’arrive pas à produire et à distribuer l’électricité nécessaire. La rentrée des classes est compromise! Dans les rues, la colère augmente, alors tu restes enfermé chez toi. Tu es furieux, mais impuissant.

«C’est facile pour nous, du haut de notre confort de juger la misère des autres.»

Alors que tu t’imagines que ça ne pourrait être pire, une pénurie d’essence éclate.

Impossible d’utiliser ton four pour faire à manger ou renflouer ta génératrice. Tu te retrouves plongé dans le noir total. Les enfants ont faim et pleurent. Tu gagnais ta vie en faisant du transport en commun, tu dois remiser ton véhicule le temps que la crise passe. En attendant, tu n’as aucun revenu; pas moyen de subvenir aux besoins de ta famille. Pourquoi souffres-tu autant? Tu essuies tes larmes furtivement.

Les compagnies pétrolières annoncent qu’elles distribueront enfin de l’essence, mais de manière rationnée. Comme des milliers de citoyens, tu te bats pour mettre la main sur une petite quantité d’or noir. C’est le chaos aux pompes.

Les gens expriment la violence du désespoir. Dans le brouhaha, tu prends un dur coup. En tombant, tu te fracasses le crâne sur le sol. On te transporte d’urgence à l’hôpital. Les portes sont closes. Tout comme toi, le personnel n’a pu se rendre au travail. Tu resteras allongé sur le sol jusqu’à ton dernier souffle en imaginant le sourire de tes enfants sur le chemin de l’école.

C’est facile pour nous, du haut de notre confort, de juger la misère des autres.

Je vous assure qu’il est impossible de comprendre cette réalité. On dit: «Ce n’est pas l’histoire qui fait le jugement: c’est le jugement qui fait l’histoire.»

L’ignorance est sûrement ce qui contribue le plus à notre manque de jugement.

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