Le Québec moderne
Pour toutes sortes de raisons obscures, je porte en moi le gène de l’antithèse de la nostalgie. Je refuse mécaniquement de vivre dans le passé, et idem pour le futur (sauf pour l’éco-anxiété, mais passons). Pourtant, ce weekend, gros coup de batte de baseball en plein front : où est ma société d’antan?
Parce qu’en l’espace d’une poignée de temps, le Québec s’est métamorphosé. Et loin du mieux, disons-le.
Alors que la fin du millénaire sentait l’espoir, l’intelligence et l’ouverture à plein nez, l’heure actuelle est, soyons polis… aux antipodes. Au tournant des années 2000, donc, on nous parlait de légalisation du mariage entre conjoints de même sexe avec un enthousiasme certain. L’avortement? Dossier clos depuis une décennie, et quiconque osait ressusciter le débat se cassait les dents sur les incontournables briques du progressisme. On venait, grâce au gouvernement du Parti québécois, d’établir l’audacieux programme des garderies à 5 $, un succès qui devait inspirer le reste du pays. Idem pour l’équité salariale, et les percées importantes en matière de droit à l’égalité en tous genres.
Au niveau de la question nationale, même chose. Celle-ci occupait une forte place dans la sphère publique en raison d’un débat souvent virulent, mais il reste que le débat était néanmoins intelligent, soutenu et réfléchi. Qui, de nos hommes et femmes politiques d’aujourd’hui, peut se targuer d’avoir la culture générale d’un Bouchard ou d’un Parizeau? Et si on recule un brin, qui s’assimile maintenant, en termes de stature intellectuelle, à un Bourassa, Lévesque ou Trudeau?
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Selon toute vraisemblance, le bel échafaudage de la société de droit, de l’ouverture et du progressisme a foutu le camp le jour fatidique du 11 septembre 2001.
S’en est suivie la nécessaire chasse aux terroristes, laquelle a éventuellement fondu l’ensemble des musulmans dans un même moule. L’heure du populisme de droite a ensuite sonné et eu des répercussions partout en Occident : lutte subreptice ou assumée contre la diversité et parfois l’immigration, les chartes des droits et les libertés civiles, en passant par le «gouvernement des juges», avant de vouloir anéantir, à la sauce Don Quichotte, le moulin imaginaire d’un concept abstrait intitulé multiculturalisme. Cela dit, le plus épouvantable, voire le plus désolant, est l’amenuisement du quotient intellectuel collectif, celui qui rend maintenant possible de servir un baratin épais en sauce et de se voir néanmoins porté au pouvoir.
Je me garderai, par décence et intégrité intellectuelle, de comparer l’actuel gouvernement québécois avec celui d’autres pays en place, peu importe lequel. Reste néanmoins que le bilan du gouvernement Legault est d’une pauvreté désarmante et que son succès, quoi qu’on en pense, repose essentiellement sur une chose : le repli identitaire. Refuser des jobs ou en faire perdre sur la base d’un signe religieux, le tout après bâillon et en utilisant une disposition dérogatoire empêchant le contrôle des tribunaux, tout en amendant unilatéralement la Charte québécoise des droits et libertés, une (triste) première dans notre histoire. Balancer dans la déchiqueteuse plus de 18 000 dossiers d’immigration, certains exceptionnels, en catimini et avant l’adoption de la loi. L’annulation manu militari de milliers de permis de taxi, dont une tonne de chauffeurs sont issus du Maghreb ou d’Haïti. L’imposition d’un test des valeurs, on ne peut plus subjectif et arbitraire. Lancer de manière éhontée le ballon d’une interdiction législative du «Bonjour-Hi» afin de faire oublier une marche de 500 000 personnes.
Et nos projets de société porteurs et rassembleurs, quels sont-ils? Où se trouvent nos Hydro-Québec, l’éducation comme priorité, nos relations internationales, notre propension à l’inclusion et la solidarité, les discussions vives sur la question nationale?
Remplacés, combien tristement, par une maternelle quatre ans dont personne ne veut. Un troisième lien apparemment bon pour l’environnement. Une déforestation soft qui le serait tout autant. Un gazoduc appuyé par le Blanchet, chef du parti fédéral de «l’énergie propre». Des médias qui s’écroulent en attendant une aide invisible. Des médecins spécialistes qui conservent leur entente gargantuesque malgré les promesses électorales en ce sens. Un mode de scrutin désuet et inique encore en place, et pour longtemps. Une chasse aux turbans à la place d’une quête d’indépendance nationale.