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Avec le ragoût de pattes

L’arrivée des Syriens, État islamique, l’austérité, les syndicats, la météo, les Nordiques… Les sujets ne manqueront pas pour alimenter les discussions autour de la tourtière. Les esprits s’échaufferont et les déclarations fuseront. Dans le feu des conversations, les opinions feront apparaître des contrastes ou des affinités dans les valeurs, les idéaux, les craintes et les espoirs de chacun.

On appréhende souvent ces moments d’échange, car les désaccords peuvent peiner ou heurter. Une stratégie est d’éviter de discuter politique avec telle cousine ou tel oncle qui a des vues radicalement différentes des nôtres. Il faut bien préserver l’harmonie familiale et… notre santé mentale.

Mais ces échanges peuvent aussi être vivifiants en nous forçant à nous extirper de nos idées toutes faites pour nous ouvrir l’esprit. Parce que la vie de tous les jours est une sorte de bulle: on lit ce qui conforte nos croyances, on se tient avec des gens qui partagent notre point de vue. À l’ère de l’internet, on choisit nos sources d’information à la carte et, généralement, on ne court pas après les opinions qui sont diamétralement opposées aux nôtres. On préfère s’accrocher à nos certitudes et rester campés sur nos positions.

Ces dernières années, j’ai souvent eu conscience de ma bulle. J’ai beau me tenir au courant de l’actualité, mes sources d’information appartiennent en majorité à un certain univers de pensée. Quand je lis un journal ou entends un commentateur dont les opinions sont diamétralement opposées aux miennes, je fais rapidement de l’urticaire… Par contre, face à une personne en chair et en os, je n’ai d’autre choix que de m’ouvrir. Et dans l’effort pour la comprendre, je découvre mes propres idées préconçues.

Pour discuter politique sans que ça vire à la chicane, ça prend une certaine aptitude à écouter avec ouverture, une certaine curiosité, et la capacité à accepter que notre interlocuteur puisse voir le monde différemment de nous (salut, oncle Denis!). Ça prend aussi de la confiance: dans l’autre et dans soi-même.

La philosophe allemande Hannah Arendt a écrit en 1974: «Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables.»

Je retiens de cette citation l’idée que c’est en parlant du monde dans lequel nous vivons que nous le partageons, et donc que nous pouvons le construire ensemble. Concevoir le dialogue ainsi, c’est lui accorder un pouvoir tel qu’il devient un idéal permanent à réaliser. En démocratie, et autour du ragoût de pattes.

Cette chronique fait relâche pendant quelques semaines. On se retrouve en 2016.

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