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Two Lovers and a Bear: Inquiétante étrangeté

Photo: Max Films

 

Quatre ans après Rebelle, tourné au Congo, le cinéaste québécois Kim Nguyen propose Two Lovers and a Bear, fiction entre fable et réalité, qui donne aujourd’hui le coup d’envoi du Festival du nouveau cinéma.

Lucy (Tatiana Maslany) et Roman (Dane DeHaan) s’aiment. Roman, un être torturé qui dit pouvoir parler aux ours polaires, s’est exilé dans le nord dans l’espoir de fuir ses démons. Lucy voudrait, quant à elle, s’enfuir vers le sud pour échapper aux fantômes du passé qui la poursuivent – littéralement… Ensemble, les amoureux partent du petit village où ils habitent pour se sauver dans le Grand Blanc, dans l’espoir de trouver enfin la paix de l’esprit.

L’histoire de Two Lovers and a Bear (Un ours et deux amants) travaille Kim Nguyen depuis de nombreuses années. Le producteur Roger Frappier l’avait approché juste après Le marais, son premier long métrage sorti en 2002, pour lui proposer de tirer un film d’une dizaine de pages écrites par Louis Grenier, fondateur de la marque de vêtements Kanuk. «Il y avait l’idée de ces deux âmes perdues, de ces âmes sœurs dans un Arctique pas du tout romancé, qui donne l’impression qu’on est dans une station lunaire, se souvient le réalisateur. Ça m’a tout de suite plu, mais il y avait quelque chose de trop concret dans la façon dont on traitait la quête de Lucy.» Le projet a donc été mis de côté, est passé entre les mains de Denis Villeneuve et de Jean-Philippe Duval, avant de revenir à Nguyen quand celui-ci a terminé le tournage de Rebelle et commencé à penser à son prochain projet. «J’ai pris un long détour, mais j’y suis revenu; ça m’est apparu comme le film le plus pertinent que je pouvais faire à ce moment-là.»

L’idée des fantômes et d’une réalité à la frontière du conte, qu’on trouvait aussi dans Rebelle, n’est pas étrangère à cette illumination. «Je voulais que la quête de Lucy devienne plus métaphorique que concrète, explique le cinéaste. Un des plus gros bonbons pour un cinéaste, c’est quand la dureté de l’univers extérieur devient un véhicule qui permet de révéler les conflits intérieurs des personnages.» L’ours du titre, sorte de divinité mythologique, a été ajouté plus tard au scénario, comme «une clé vers un univers où l’espace-temps n’est pas clair»: «C’est un film de genre… mais on ne sait pas quel genre!»

«De plus en plus, je pense que ce que j’aime, c’est de proposer un voyage, des films où des personnages très différents des spectateurs offrent un miroir à ceux-ci sur leur propre vie.» – Kim Nguyen, réalisateur

Loin des cartes postales
Le principal défi, selon Kim Nguyen, était de préserver la tension dramatique jusqu’à la fin. «On ne voulait pas que le départ de Roman et Lucy soit une simple libération, parce que ça aurait été ennuyant de juste regarder des cartes postales pendant 50 minutes, précise-t-il. On voulait que la nature soit vraiment un élément vivant et menaçant, qu’elle reflète cette inquiétante étrangeté que Freud évoquait.»

Cette inquiétante étrangeté se retrouve aussi dans la musique de Jesse Zubot, qui avait réalisé l’album Animism de Tanya Tagaq, dont des échantillonnages peuvent être entendus dans la trame sonore du film – qui compte aussi A Tribe Called Red, Seven Nation Army de Jack White (dont Kim Nguyen est un grand fan) et… Livin’ La Vida Loca de Ricky Martin. «C’est basé sur un fait vécu : quand on était là-bas, il y a quelqu’un qui est passé à côté de nous en motoneige avec ses gros speakers et Livin’ La Vida Loca dans le tapis, et je me suis dit : “Ah! C’est trop cool! Il faut mettre ça dans le film!” Ce à quoi Roger a répliqué: “Tu sais combien ça va coûter, ça?”»

Langue de Shakespeare
Two Lovers and a Bear est le premier long métrage en anglais de Kim Nguyen, pour qui le choix de la langue relevait surtout du réalisme: «Ça allait de soi parce qu’ils parlent anglais dans le Grand Nord.» Le réalisateur, qui s’est joint à une agence depuis Rebelle, admet qu’il a été intéressant de s’ouvrir à un casting international, et de toucher au système hollywoodien. «C’est assez particulier, tu ne peux pas parler à l’acteur sans passer par son agent; c’est différent du Québec où il y a une espèce de camaraderie agréable», souligne-t-il.

Tourner en anglais lui a aussi permis de travailler avec l’actrice canadienne Tatiana Maslany, gagnante d’un Emmy pour Orphan Black, et avec le comédien américain Dane DeHaan (vu dans la série In Treatment et dans The Amazing Spider-Man 2). «J’avais été vraiment impressionné par Dane dans A Place Beyond the Pine, il était si naturel que j’avais l’impression qu’il se jouait lui-même, se souvient le réalisateur. À mon avis, il est d’ailleurs à son meilleur dans ses rôles torturés, plutôt que dans des films de super-héros.»

L’aventure anglophone n’est par ailleurs pas terminée, puisque Kim Nguyen termine actuellement la postproduction du film Eye on Juliet et signera bientôt la réalisation de deux épisodes d’une série lourde américaine. «C’est l’fun, j’aime me joindre à une équipe, souligne le réalisateur, grand fan de séries comme The Knick et Narcos. C’est une première pour moi à la télé, et ça me plaît. J’aime l’idée d’une série en 8-10 épisodes, ça peut permettre de réaliser une œuvre  de fond qu’un long métrage.»

Two Lovers and a Bear sera diffusé au Théâtre Maisonneuve mercredi soir à 19h en ouverture du Festival du nouveau cinéma, avant de sortir en salle vendredi

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