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«Le cœur en bandoulière»: le doute au cœur

Michel Tremblay
L'auteur Michel Tremblay publie son nouveau livre, Le cœur en bandoulière. Photo: Josie Desmarais/Métro

Michel Tremblay boucle sa «trilogie du cœur» avec Le cœur en bandoulière, «roman hybride» qui porte sur le doute du créateur.

Après Le cœur découvert (1986) et Le cœur éclaté (1993), ce dernier volet s’ouvre sur un coucher de soleil, celui que Jean-Marc, le narrateur et alter ego de Tremblay, contemple au terme de sa promenade quotidienne vers la jetée de Key West.

Un spectacle quelque peu gâché par la horde de touristes qui se déverse chaque jour sur la petite ville insulaire floridienne. 

Comme Key West, Jean-Marc a changé. Ses genoux le font souffrir, ses promenades sont plus courtes, et pour la première foix de sa vie, l’auteur procrastine à l’idée de prendre la plume.

L’objet de sa tergiversation? Une pièce écrite en hommage à Anton Tchekhov qu’il n’a jamais terminée.

Ce «fond de tiroir» qu’il traîne depuis des années lui fait peur parce qu’il renferme une bonne partie de ses peurs d’écrivain vieillissant: peur de la critique, doute d’être encore pertinent, crainte d’être dépassé face aux talents des plus jeunes.

Un soir, un peu «gorlaud» après un souper bien arrosé, il décide pourtant de s’attaquer «à ce projet absurde, peut-être même ridicule». Il va terminer l’écriture de Cher Tchekhov.

«Tout ça est vrai, soutient Michel Tremblay, qui passe chaque hiver à Key West depuis 1991. J’avais commencé cette pièce il y a quatre ou cinq ans et j’en avais eu peur. J’avais arrêté parce que j’avais peur, c’est complètement ridicule, je m’en rends compte maintenant, que les acteurs pensent que je ne les aime pas.»

«L’année passée, quand je suis arrivé à Key West, je voulais vraiment écrire quelque chose sur le doute, et j’ai pensé à ce vieux  »péché ». Heureusement, il était encore dans mon ordinateur; je l’ai imprimé, je l’ai lu et j’ai beaucoup aimé», se souvient-il en souriant. 

«Je suis très content de ne pas avoir fini la pièce à l’époque! Ça m’a permis de travailler aux notes de l’auteur. On assiste à la correction et ensuite à l’écriture de la pièce. C’est très intéressant», ajoute l’auteur.

«Un artiste qui ne doute pas, ce n’est pas un artiste. Il faut douter toute sa vie.» Michel Tremblay, écrivain

Regard critique

Le cœur en bandoulière alterne donc entre les morceaux de vie de Jean-Marc, divisés en cinq couchers de soleil, et sa pièce de théâtre, qu’il relit et corrige sous nos yeux.

Ici une réplique trop longue est resserrée, là les intentions d’un personnage sont précisées. 

«Une mise en abyme d’une mise en abyme», selon les mots de Michel Tremblay, qui s’est amusé à multiplier les doubles. 

«Je trouvais ça intéressant pour les lecteurs éventuels de voir le processus d’écriture, raconte le créateur des Belles-sœurs. Les gens en général n’ont aucune idée de ce que c’est qu’écrire. Ce n’est pas que s’assoir et taper. Tu te relis, tu te corriges, tu changes des affaires au fur à mesure. Surtout au théâtre. C’est ça qui est le fun

Cher Tchekov met en scène une famille d’acteurs au centre de laquelle gravitent Benoit, auteur en panne d’inspiration, et sa sœur Claire. Au dire de son frère, cette actrice renommée s’est cassé les dents dans une relecture moderne d’un classique du célèbre dramaturge russe. 

Lors d’un souper de l’Action de grâce, Claire a la bonne idée d’inviter son nouveau chum, un critique de théâtre qui a lui démoli la dernière pièce de Benoit. 

Un contexte parfait pour discuter de l’angoisse de l’artiste et du poids de la critique.

«Il y a deux façons de réagir au vieillissement et au doute: abdiquer ou essayer quelque chose de nouveau, expose l’écrivain de 76 ans. Benoit bloque après avoir reçu de mauvaises critiques, alors que sa sœur, elle, au moins, essaie de faire quelque chose. Elle a eu le courage d’aller vers les jeunes, même si elle est tombée sur un metteur en scène fou, qui au lieu de monter Tchekhov, l’a démoli.

«J’ai voulu montrer les deux côtés de la médaille. Je fais toujours ça. Je donne de bonnes raisons à mes méchants d’être des méchants et de mauvaises raisons à mes héros d’être des héros. C’est une discussion. Et le théâtre, c’est ça aussi: une discussion.»

Doute, quand tu nous tiens

Malgré les honneurs, les prix, le succès populaire et critique, Michel Tremblay a commencé à douter au début de la soixantaine.

«C’est l’âge où tout artiste intelligent se pose des questions; on commence à douter», résume-t-il avec son ton pince-sans-rire.

«Il faut douter. C’est bon. […] Mais comme beaucoup d’artistes, j’ai peur qu’on me mette sur la voie d’évitement. Que la société dise à un moment donné: tu as été formidable, tu as écrit des choses merveilleuses, on t’a beaucoup aimé, tu as fait une carrière internationale, mais maintenant, repose-toi un peu.

«L’inquiétude, c’est de savoir quand ça va arriver et qui va te le dire. Est-ce que ça va être mon chum, mon agente, mon meilleur ami, mon éditeur? C’est une inquiétude continuelle depuis 15 ans.»

La dernière quinzaine d’années représente pourtant une période très faste pour l’écrivain, qui a notamment bouclé La diaspora des Desrosiers, une série de neuf romans, en plus d’offrir une demi-douzaine de nouvelles créations théâtrales.

«Ce n’est pas parce que tu écris que ça t’empêche d’être inquiet, affirme l’auteur. Il y a l’inquiétude que la source d’inspiration se tarisse, mais aussi que le monde se tanne de m’entendre. Le jour où le monde va arrêter de venir voir mes pièces, il va falloir que je comprenne le message. Si ça arrive un jour.»

Permettez-nous d’en douter…

Chère critique

La présence d’un critique de théâtre dans Le cœur en bandoulière n’est pas anodine. 

Elle permet à Michel Tremblay d’enfin aborder un sujet central dans le milieu artistique et d’évoquer son impact chez les créateurs. «Tout écrivain, toute sa vie, se fait dire que c’est un crime de lèse-majesté de parler de la critique ou de répondre aux critiques. Pourtant, on a le droit, non?»

Après presque 60 ans d’écriture et des centaines de milliers d’exemplaires vendus, comment réagit-on à une mauvaise critique? «Comme je le dis toujours, je ne suis pas tuable, répond l’auteur avec un sourire en coin.

«Je réagis mal, mais je pense que l’avantage qu’on a, les écrivains, c’est que lorsqu’on est critiqués, on est déjà rendus ailleurs. Un acteur qui se fait dire qu’il est le pire Hamlet de l’histoire, il faut qu’il retourne jouer le soir même. Moi, quand une de mes pièces est jouée, elle est écrite depuis deux ans. Un roman, depuis un an. Je suis rendu ailleurs.»


Le plus récent livre de Michel Tremblay, Le cœur en bandoulière, sera en vente chez Leméac dès demain.

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