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La culture livresque est-elle en train de disparaître?

Photo: AFP

Faut-il avoir lu Proust, Balzac ou… Modiano pour être cultivé? Selon les experts, la tradition intellectuelle française, fondée sur la culture livresque, tend à disparaître au profit d’un autre modèle, différent mais pas forcément moins fécond.

La France, qui a été confortée dans sa vocation culturelle avec un prix Nobel décerné à Patrick Modiano puis la traditionnelle semaine des prix littéraires, a aussi été choquée d’entendre la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, dire qu’elle n’avait pas lu de roman depuis deux ans.

« Nous assistons à la fin des maîtres à penser comme pouvaient l’être les grands écrivains du XIXe siècle ou Sartre et Mauriac au XXe », explique à l’AFP l’historien Michel Winock.

Pour le philosophe suisse Yves Citton, « internet a effacé la barrière entre basse et haute culture, ce qui est une bonne chose ».

« L’explosion depuis vingt ans des moyens d’accès à l’information, et la montée d’internet, sont à voir comme une chance, même pour la tradition culturelle française », explique à l’AFP ce professeur de littérature, auteur de « L’avenir des humanités » (La Découverte).

« Cela nous permet d’avoir une connaissance plus étendue de ce qui se publie, se dit ou se crée », fait-il valoir. « La nouveauté, c’est que ce que nous gagnons en largeur, nous le perdons en profondeur ».

Une évolution due « à la multiplication des médias sans doute. Mais aussi à la montée de l’individualisme car chacun de nous aujourd’hui a son avis, et le donne. Il n’y a plus de guide », assure Michel Winock.

Faut-il le regretter? Ou bien s’en féliciter? « Ni l’un ni l’autre », estime Yves de Citton. « La bonne démarche consistant, selon lui, à survoler la production culturelle à condition toutefois de faire, de temps à autre, l’effort de s’arrêter sur un poème ou un ouvrage de 500 pages. »

Avec quinze Prix Nobel de littérature en cent ans (Romain Rolland, André Gide, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Jean-Marie Le Clézio…) la France demeure le pays le plus récompensé.

Mais il faut être lucide: la tendance est bien au recul de la lecture. Une enquête réalisée par l’Insee en 2011 montre que le temps consacré à la lecture, y compris sur internet, a diminué d’un tiers depuis 1986.

Sans que l’accélération des rythmes de vie puisse être la seule incriminée puisque chômeurs et inactifs sont ceux qui ont le plus contribué à cette évolution.

– Lecture à choix multiples –

« Le fait qu’on ne lise plus est regrettable mais plus préoccupant encore est le fait qu’on ne mémorise plus, le risque étant de plus avoir aucune littérature en commun et, à terme, de voir disparaître notre intelligence collective », explique à l’AFP le linguiste Alain Bentolila.

Ardent défenseur de l’écrit imprimé, il s’en prend à la lecture numérique, surtout lorsqu’elle envahit les écoles.

« La toile est si vaste, si forte est l’illusion de pouvoir aller partout que l’élève inconstant finit par n’arriver nulle part et à ne garder trace de rien », souligne-t-il.

Pour autant, internet est un bel outil de connaissance pour qui sait l’utiliser, estime le professeur de littérature Pierre Bayard, auteur en 2007 d’un essai polémique: « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus » (Éditions de Minuit).

Attention toutefois, la thèse de l’auteur est qu’il existe une multitude de façons de lire.

« Il y a le trajet, communément enseigné, qui consiste à lire un livre de la première à la dernière page, mais il y a d’autres chemins: le parcours rapide, le feuilletage, le livre qu’on commence et qu’on ne finit pas… » « C’est cette créativité de la lecture que nous devrions transmettre davantage », précise-t-il.

Pour Yves Citton, qui a enseigné dans des universités américaines, l’inculture est aussi chez les littéraires « qui se vantent de ne pas savoir utiliser un ordinateur ».

A condition de s’adapter, la tradition culturelle française a encore de beaux jours devant elle. « Si les jeunes ne lisent plus Flaubert, peut-être lisent-ils autre chose, qui mérite d’être intégré à ce qu’on appelle littérature », souligne-t-il.

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