L’appel du large au Festival Musique du Bout du Monde
En micmac, gaspeg signifie «fin des terres». Pourtant, si le trajet pour se rendre à Gaspé peut sembler long, il s’avère fascinant dès qu’on pénètre dans la péninsule.
Du 5 au 9 août, Métro a séjourné à Gaspé afin d’assister à la 12e édition du Festival Musique du Bout du Monde.
Le trajet (13 heures en taxi collectif, 10 heures sans escale ni détour) peut être divertissant si on a la bonne idée de prendre place à côté du chauffeur. «J’ai tellement faim que je mangerais une volée», a notamment lancé Claude, un chauffeur de Taxi Fortin.
Outre les personnages pittoresques qui égaient le quotidien, comme Claude ou ce capitaine de bateau madelinot rencontré dans le port de Gaspé, il faut parler de ces jeunes intellos dynamiques et mélomanes qui, après un exil dans la grande ville, retiennent l’attention avec ce festival. Ils l’ont créé pour «offrir aux gens autre chose que Johnny Cash et le country», comme nous l’a expliqué le biologiste et mélomane Frédérick Ste-Croix, l’un des instigateurs de cet événement.
Parmi la douzaine de spectacles incontournables et les dizaines d’artistes forains qui ont animé la rue de la Reine et ses multiples kiosques, les festivaliers ont vécu des moments très forts, en particulier sous le chapiteau bleu et jaune, grand comme un terrain de football. Certaines prestations resteront d’ailleurs gravées dans la mémoire de Gaspé, pour reprendre la formule de Philippe Fehmiu, porte-parole de ces cinq jours de festivités.
Notons le formidable spectacle de Betty Bonifassi, composé de chants d’esclaves revus sur un mode funky-rock. «Vous me fendez le cœur!» s’est exclamée la Québécoise d’adoption en essuyant une larme, tant elle était émue par l’accueil ultra chaleureux que lui ont réservé quelque 2200 spectateurs. La grande et énergique Angélique Kidjo – qu’on aurait cru branchée sur une des éoliennes qui se dressent dans le paysage! – est venue compléter de façon magistrale la soirée, placée sous le thème des femmes et de leur engagement politique.
En matière d’engagement, les rappeurs littéraires de Loco Locass ont été fidèles à eux-mêmes en livrant un spectacle des plus «manifestifs» pour le premier spectacle dans la région. «Certains parlent de fermer la Gaspésie; c’est plutôt la gueule de ces imbéciles qu’il faudrait fermer!» a lancé Biz sous les applaudissements nourris de la foule avant d’expliquer, comme René Lévesque avant lui, que si le Québec était une main, la Gaspésie en serait le pouce.
Entre ces deux spectacles, j’ai eu droit à une balade en bateau autour du célèbre rocher Percé, qui était jadis relié à la terre ferme, et ce, en compagnie de Rémi Plourde, le directeur du parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé. Une encyclopédie vivante que cet homme qui, entre deux blagues, explique que des roches tombent régulièrement du rocher et que cela entraînera sans doute un jour son effondrement.
Une excursion au sommet de l’île Bonaventure a suivi, ce qui m’a permis de découvrir le spectacle émouvant de la vie d’une colonie de fous de Bassan. Il s’agit du seul endroit au monde où il est possible de les côtoyer d’aussi près. Moment exquis.
L’un des autres moments inoubliables de ce séjour a eu lieu samedi matin vers 5 h: pendant le spectacle aéro-folk de Martha Wainwright au cap Bon-Ami, entre mer et falaise, un «aigle à tête blanche» est venu nous survoler. Instantanément, l’assistance a applaudi comme si le visiteur ailé faisait partie de la divine mise en scène. Puis, ce fut un retour au motel pour une sieste avant une journée de plage où, bonne idée, une «cantina latino-gaspésienne» proposait un délectable mariage de guédille et de tacos.
En soirée, la fille de la région, Marie-Pierre Arthur, avait la tâche ingrate de clore le festival, ce qu’elle a accompli avec brio en compagnie de sa bande. Puis, en guise d’au revoir, je suis allé danser rue de la Reine avec des Africains et des Haïtiens au rythme des tam-tam. Je retournerai en Gaspésie pour y retrouver mon cœur.
Une région ouverte sur le monde
Si certains parlent de fermer les régions, d’autres ne demandent qu’à les enrichir de leur présence. Dimanche, le curé de Gaspé, qui est originaire du Bénin, baptisait un enfant dont le père est né en République démocratique du Congo et dont la mère et la marraine sont originaires du Cameroun. Et parmi les invités et amis, on comptait en grand nombre des gens de l’île de la Réunion, du Bénin, du Togo et d’Haïti. Ce qui a fait dire au curé, en regardant le parrain de l’enfant, un «pur Gaspésien de Ti-Cap»: «Votre heureuse présence amène de la couleur à cette fête!» Éclat de rire généralisé.