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Ray-Mont Logistiques: la sculpture vandalisée, mais toujours debout

La sculpture de l'esprit de la forêt ne trône plus au sommet d'un tertre, mais tient bon. Photo: Matéo Gaurrand-Paradot, Métro

Dominant Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et dressée face au mur de conteneurs de Ray-Mont Logistiques, la sculpture de «l’esprit de la forêt» trônait fièrement sur la butte de cette friche industrielle jusqu’à la nuit du 12 avril. Des personnes l’ont vandalisée en la déboulonnant et en la poussant en aval du monticule de terre.

Bien que l’acte ait été revendiqué par un compte Instagram anonyme et que Ray-Mont Logistiques nie toute responsabilité, cette chute de «l’esprit de la forêt» pourrait représenter l’allégorie de la volonté de l’entreprise de faire tomber la résistance pour la préservation de cet espace vert. Pourtant, cet «esprit de la forêt» tient bon et reste entier, tout comme la détermination des militants environnementaux.

Ray-Mont Logistiques fait jaser dans le quartier, et crispe ses habitants. L’entreprise, dont une fraction du terrain sert actuellement de lieu d’entreposage pour l’important port de Montréal, veut transformer tout le reste de cet espace mi-vert, mi-friche en zone de transbordement entre camions et trains, à quelques pas du port. Un projet insensé dans un milieu urbain, croit le collectif citoyen Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM.

La mobilisation persiste depuis plusieurs années et une première sculpture avait été installée par l’artiste anonyme Junko, au début de 2021, au même endroit. Ironiquement, cette butte est le résultat du nivelage du terrain contaminé par Ray-Mont Logistiques. Cette première œuvre, nommée «le renard de l’espace», était faite de dizaines d’objets, mais s’est disloquée après que le collectif l’eut déplacée au boisé Vimont.

En décembre 2021, Mobilisation 6600 procédait à l’inauguration symbolique du parc-nature. Le collectif souhaiterait voir sa véritable création sur le boisé Vimont, le boisé Steinberg et la friche industrielle. Junko a alors, en secret, reconstruit une sculpture avec du bois trouvé sur le terrain de cet hypothétique parc-nature. Cette sculpture est devenue «l’esprit de la forêt», veillant sur les deux boisés et sur la friche.

La butte où «l’esprit de la forêt» se tenait sera bientôt détruite par Ray-Mont Logistiques pour l’arrivée de sa nouvelle voie ferroviaire. Perché sur le sommet, on voit déjà le tracé approcher du tertre. Pour les résidents du secteur, cette petite colline est, en plus d’un magnifique point de vue sur le soleil, un paravent entre les conteneurs entreposés sur une hauteur de plusieurs étages et leur quartier.

Les rails s’approchent petit à petit de la butte que les résidents apprécient tant. Le terrain est aujourd’hui une friche, mais fut autrefois un boisé. Photo: Matéo Gaurrand-Paradot, Métro

Action politique ou simple débordement?

D’abord accusé par Mobilisation 6600, Ray-Mont Logistiques s’est défendu d’avoir mis «l’esprit de la forêt» à terre. L’entreprise assure aimer et respecter l’art, et a même dit au collectif que l’œuvre aurait été conservée et intégrée à leur projet. Une idée reçue comme un pied de nez par les militants.

La vandalisation de «l’esprit de la forêt» a été revendiquée par un compte Instagram anonyme, qui ne donne aucune revendication et laisse la porte-parole de Mobilisation 6600 Anaïs Houde penser qu’il s’agit d’un acte de méchanceté gratuite. Notons que ce compte Instagram est particulièrement peu actif, avec une seule publication, ce qui ne laisse aucun indice sur la personne derrière l’acte.

Alors que le motif du déboulonnement de l’œuvre reste peu clair, une résidente qui promène son chien dans la friche s’interroge ouvertement et s’émeut de l’absence de la sculpture qui, dans un parfait alignement avec la rue Ontario, pouvait se voir de loin dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Comble de l’ironie, «l’esprit de la forêt» avait résisté à des tempêtes de vent et à la récente tempête historique de verglas, mais sa chute fut finalement l’œuvre de l’humain.

L’esprit de la colère

Les citoyens d’Hochelaga devront vivre avec une plateforme de transbordement sur leur palier de porte, si le projet va de l’avant. Les coopératives d’habitation situées sur la rue Ida-Steinberg sont séparées de la future plateforme par seulement une rue et moins d’une centaine de mètres de friche ferroviaire. «On considère que c’est une zone industrielle et donc que c’est correct, mais on oublie les habitations», analyse Mme Houde.

Ray-Mont Logistiques aimerait faire transiter des milliers de conteneurs et un train de 100 wagons par jour. Actuellement, un train de sept wagons emprunte les voies du CN pour changer d’aiguillage, et ce, une fois par semaine. Les voisins ont peur d’être dérangés par le bruit de ces énormes trains, qui pourraient freiner et klaxonner même la nuit, alors que le chemin de fer est dans un virage, ce qui augmente les nuisances sonores.

De plus, pour qu’un tel projet voie le jour, il faudra prolonger le boulevard L’Assomption et donc raser une partie du boisé Steinberg, dont seulement une fraction a récemment été acquise par la Ville pour la protéger. Avec l’autre entrée sur la rue Notre-Dame, le secteur pourrait alors être envahi de camions. D’ores et déjà, la simple zone de stockage qui n’ouvre qu’à 7h fait que les camions, qui sont en attente, se stationnent sur la piste cyclable et sur le trottoir de la rue Notre-Dame.

Le trafic de camions et de trains augmenterait considérablement du côté de Mercier également, dans le secteur Longue-Pointe, tout autour de l’avenue de Souligny qui relierait l’autoroute au site de Ray-Mont Logistiques. Anaïs Houde explique que ce projet ne fait pas passer la qualité de vie des résidents en premier, mais plutôt les intérêts économiques.

Situé en plein cœur de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, le projet prend place dans un secteur où les problématiques des îlots de chaleur, de la pollution et de la circulation automobile sont importantes. Le quartier Hochelaga-Maisonneuve est déjà dépourvu d’un grand parc – mais il est à proximité du parc Maisonneuve dans Rosemont – et est privé d’accès au fleuve par la présence de l’imposant port de Montréal.

Face à la menace grise, l’espoir vert

Comme l’indique son nom, l’objectif de Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM est l’émergence d’un parc-nature qui engloberait le boisé Steinberg, le boisé Vimont et la friche industrielle, qui sont tous voisins. Cette friche, qui fait le lien entre les deux boisés, est divisée entre les voies ferroviaires du CN et le terrain de Ray-Mont Logistiques, qui était, jusqu’en 2017, un boisé.

Le lieu est d’ores et déjà apprécié des locaux. Lors du passage de Métro, alors qu’un soleil printanier brillait, les promeneurs se faisaient nombreux. Le collectif a aussi installé un jardin communautaire près du boisé Vimont. Les voisins ont découvert cette zone lors des confinements liés à la COVID-19.

Le parc Maisonneuve étant situé à 25 minutes de marche, le parc-nature projeté est le seul espace vert si grand à proximité pour les résidents. Les vues sur le coucher de soleil y sont, dit-on, époustouflantes, mais les observateurs y sont perturbés par Ray-Mont Logistiques, qui appelle la police pour les déloger. On peut même y observer de la faune. Lors du passage de Métro, un faucon déployait ses ailes au-dessus du lieu.

Le parc-nature pourrait être l’occasion de profiter de façon plus officielle de cet espace vert. Lors d’une consultation, plusieurs mémoires avaient été déposés, et l’idée de déterrer le ruisseau qui passait ici et qui se reforme de façon irrégulière avait plu, avance Anaïs Houde. C’est cet espoir de voir une coulée verte – et peut-être une coulée bleue – naître, plutôt qu’une plateforme bétonnée, qui motive les citoyens mobilisés.

Mais alors que les discours politiques sont majoritairement en faveur de boiser davantage, et de plus d’espaces verts, les politiciens municipaux ne se bousculent pas au portique pour faire avancer cette idée de parc-nature. Pourtant, des élus du parti pouvoir au niveau de la Ville et de l’Arrondissement, Projet Montréal, étaient autrefois des militants au cœur de la fondation de Mobilisation 6600.

L’arrivée au pouvoir de Projet Montréal est d’abord apparue comme une victoire avant que les espoirs des militants soient douchés. En 2018, la Ville de Montréal a perdu un procès portant sur l’usage de cette future plateforme de transbordement. Aujourd’hui, le discours sur l’expropriation de Ray-Mont Logistiques fait dresser les poils du milieu des affaires et ne séduit pas la municipalité.

La raison? Exproprier une entreprise peut permettre à cette compagnie d’obtenir des dommages et intérêts d’une grande importance, dans la forme actuelle de la législation. Sans un changement de loi, une expropriation paraît improbable.

Du côté des rails du CN, la responsabilité est fédérale. La députée fédérale d’Hochelaga, Soraya Martinez Ferrada, négocierait une enveloppe à Ottawa pour que le gouvernement se fasse acheteur du chemin de fer. Pour autant, Anaïs Houde constate qu’il n’y a pas autant d’engouement et de fonds alloués pour ce projet, comparativement à celui de grand parc dans l’Ouest.

Même si la plateforme de transbordement était abandonnée, et qu’un parc-nature était créé, Mme Houde reste pensive, et réfléchit à l’existence même du port de Montréal. Montréal est la seule ville continentale d’Amérique du Nord avec un tel port, et une des plus grandes métropoles au monde avec un port si proche du centre. Une chose est certaine, les débats autour de la vocation industrielle de ce secteur qui lie Mercier et Hochelaga-Maisonneuve ne s’arrêteront pas de sitôt.

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