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La distillerie de la discorde

La facade de la rue Jeanne-Mance du bâtiment industriel dans lequel demeurent Frances Foster et Trevor Goring. Nicolas Monet/Métro Photo: Nicolas Monet/Métro

Un projet de distillerie en plein cœur du Mile-Ex a mis le feu aux poudres dans la communauté. L’installation d’une fabrique de whiskey dans un large bâtiment industriel au coin des rues Jeanne-Mance et Saint-Zotique, à côté d’immeubles résidentiels, fait craindre le pire aux citoyens du secteur.

«C’est absurde. Une distillerie en plein cœur d’un quartier. […] Ça n’a juste aucun sens», s’exclame Myriam Valcin, qui demeure directement en face de la future distillerie. «On est littéralement collé!»

Prolifération de moisissures, entreposage d’alcool inflammable, bruits de ventilation et de climatisation, poussière, odeurs nauséabondes: la liste de nuisances potentielles est énorme, aux dires d’un regroupement de citoyens du secteur qui se mobilise contre la distillerie.

Un tour rapide sur la page Facebook communautaire du secteur Marconi-Alexandra permet de constater que l’opposition au projet se fait très vive, bien que plusieurs se prononcent aussi en sa faveur. Une pétition contre la distillerie a récolté plus de 200 signatures au moment de publier ces lignes.

On n’est pas opposé à la mixité du zonage de notre quartier. L’acceptation de la mixité n’implique pas d’accepter une détérioration de notre milieu de vie.

Myriam Valcin, résidente de la rue Jeanne-Mance  

Le 6 mars dernier, une délégation de citoyens s’est également présentée au conseil d’arrondissement pour s’opposer à l’autorisation de l’usage conditionnel « distillerie » dans le secteur. Face à la gronde populaire, le conseil a finalement choisi de retirer le point de l’ordre du jour à la dernière minute, «pour être sûr de prendre une décision éclairée» et pour retravailler le dossier, a précisé le maire de Rosemont–Petite-Patrie, François Limoges. Aucune date n’est prévue pour soumettre le point à nouveau à l’approbation au conseil d’arrondissement.

Un atout pour le quartier, estime le promoteur

«J’essaye d’être un atout pour le quartier. Je ne veux pas le perturber», explique le promoteur du projet de distillerie, Matthew McMillan, se disant surpris par l’ampleur de l’opposition citoyenne.

L’Américain, établi à Montréal depuis 2020, a justement choisi de s’installer dans le Mile-Ex parce qu’il était attiré par le dynamisme et le caractère disparate du quartier. Entreprises technologiques, résidences modernes et vieux bâtiments découlant de son héritage industriel y cohabitent.

Il s’agit d’un projet de «micro-distillerie», d’environ 20 000 pieds carrés, insiste celui qui a pris part à des projets similaires au Colorado et en Finlande. Environ 100 000 bouteilles de whisky seront produites par année, précise-t-il.

«Toutes les préoccupations [exprimées par les résidents] sont valides», reconnaît M. McMillan. Il a d’ailleurs tenté de répondre à ces inquiétudes à plusieurs reprises sur les médias sociaux, sans succès. Le distillateur organise également une séance d’information le dimanche 2 avril.

Les services d’ingénieurs ont été retenus pour insonoriser la chaufferie de la distillerie, explique M. McMillan. Par ailleurs, il utilisera des céréales régénératrices provenant de fermes biologiques en Estrie, et les bouteilles seront 100% recyclées. Des technologies de pointe seront utilisées pour limiter les impacts environnementaux et les émanations. «J’aimerais que nous soyons la distillerie la plus écologique du Canada, voire du monde», avance-t-il.

Bien qu’il se dise soucieux des enjeux de gentrification, le promoteur estime que son projet n’y contribue pas davantage, le quartier étant déjà en pleine transformation.

[Certains résidents] sont prêts à se battre contre tout ce qui est nouveau et, malheureusement, je me suis retrouvé au milieu de tout ça. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas un bon projet.

Matthew McMillan, président de Premium Barrel International

«Si on ne permet pas l’implantation d’entreprises artisanales comme celle-ci, que deviendra l’espace? se demande-t-il. Ce sera un condo, ou des projets industriels […]. La distillerie est une bien meilleure alternative.»

Une «boîte de Pandore»

Myriam Valcin prend bonne note des assurances de M. McMillan, mais ne compte pas changer son fusil d’épaule.

Rien ne pourrait atténuer ses inquiétudes «malgré ce qu’on suppose être de bonnes intentions du promoteur du projet quant à la gestion des risques environnementaux», confirme-t-elle. «L’enfer est pavé de bonnes intentions.»

«L’enjeu, ce n’est pas le projet comme tel. C’est un très beau projet, explique-t-elle. L’enjeu, c’est le changement de type d’activités dans le secteur.»

Autoriser la distillerie équivaut à ouvrir «une boîte de Pandore», selon la résidente. Si le projet de distillerie échoue, un autre promoteur moins vertueux pourrait désormais prendre sa place, craint-elle.

«Nous n’avons aucun engagement ferme de l’Arrondissement, concernant les nuisances du projet», déplore-t-elle.

En contrepartie de son autorisation, Rosemont–Petite-Patrie exige diverses conditions, dont le verdissement de l’espace en face de la distillerie, une étude acoustique, l’intégration de mesure d’atténuation du bruit et l’interdiction d’activités de bar ou de restauration, précise l’Arrondissement, par courriel. Seules des activités de vente et dégustation, avec des petits groupes, seront permises.

«On est une administration qui décrète si c’est conforme à un plan d’urbanisme. Si, oui, on octroie l’autorisation. C’est ça, la business d’une ville», a rappelé François Limoges lors du dernier conseil d’arrondissement.

La distillerie pourra être opérationnelle 8 à 12 mois après son autorisation, précise Matthew McMillan.

La distillerie sera aménagée directement à côté d’immeubles résidentiels. Nicolas Monet/Métro.

Le champignon du whisky 

Une des plus grosses craintes des résidents à proximité de la future distillerie est le Baudoinia compniacensis, plus communément connu comme «le champignon du whisky».

Lors du processus de maturation des spiritueux, une certaine quantité d’éthanol (5 à 6%) est libérée dans l’atmosphère. Ces émanations entraînent une prolifération de moisissures, qui se déposent sur les structures environnantes. À la longue, une croûte noire se forme sur les surfaces affectées.

M. McMillan assure que ces moisissures ne seront pas un enjeu, puisque la production est à l’échelle artisanale.

« Il y a toujours des émanations, ça fait partie du processus normal», explique le professeur au département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, Jacques Brodeur.

M. Brodeur reconnaît tout de même que les problèmes répertoriés avec le champignon du whiskey concernaient des productions de plus grande envergure que celle envisagée par Matthew McMillan. «Ça ne veut pas dire que les plus petites n’en ont pas», nuance-t-il.

«C’est légitime pour les résidents de se poser des questions, et de vouloir une assurance», estime l’expert.

Quelles sont les activités autorisées dans le secteur

Le zonage actuel du 6665 Jeanne-Mance autorise l’usage «industrie légère». Les activités permises ne peuvent générer aucun danger d’explosion ni d’émanation toxique et ne peuvent causer aucune odeur, poussière, bruit ou vapeur en dehors des limites de sont terrain, selon le règlement de zonage de Rosemont–Petite-Patrie.

L’usage «distillerie», considéré comme plus nuisible, peut être autorisé comme «usage conditionnel» dans une zone d’industrie légère. Avant d’autoriser un tel usage, l’Arrondissement doit notamment évaluer «la compatibilité et la complémentarité de l’usage proposé avec le milieu environnant», mentionne-t-on au règlement de zonage.

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