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Bénito doit partir

Close up shot of mouse peeking out of the dusty hole behind white furniture and under copper pipe. One paw is raised up like he is greeting. Photo: Getty Images/iStockphoto

Morceau de caoutchouc et petite balle anti-stress lovée au poing! Il s’agit là d’une bien étrange salutation, certes. Mais je prends soin de vous. J’anticipe le hurlement dans le polochon. Parce que bon nombre de propriétaires de mâchoires se crisperont la mandibule à ma lecture, dégoûtés et/ou profusément choqués. Alors.

Il y a souriceau en ma demeure. RANGEZ IMMÉDIATEMENT CE BALAI. Ce bâton (un bâton?) aussi. Pour la toute première fois de ma vie de Montréalaise, une souris, une très petite souris grise, s’est frayé un chemin jusque dans mon trois et demi qui, jusqu’ici, n’avait connu que les périls d’un caniche nain à la vision incertaine. Comme toute ouaille qui aperçoit une ombre furtive dans la clairceur d’une cuisine de mardi matin (ça, c‘est une cuisine claire, mais pas inondée de lumière divine. Un peu comme les fameuses «pâtes du mardi soir» souvent mentionnées dans le culino-feuilleton Un souper presque parfait). Toujours est-il que cette petite ombre furtive, je l’ai bien vue. J’en étais certaine, une très, très petite chose garnie d’une queue s’était enfuie dans les profondeurs de mon derrière de four, la besace nul doute emplie d’un vague copeau de misère et d’un fusili antique. Le pactole.

Ensuite, le déni. Ce sublime esquif à bord duquel il fait bon se laisser dériver jusqu’à la grand’chute où les gens se précipitent à bord d’un baril. «J’ai sans doute rêvé. Elle est partie. Ou était-ce plutôt une boule de poussière texane venue rouler jusque dans ma kitchenette pour souligner la solitude immense de janvier?» Ce qui arrive, avec les souriceaux, c’est qu’ils reviennent. Et Bénito (je l’ai baptisé ainsi dans le Jourdain) est de ceux qui, quand ils aiment une fois, aiment pour toujours.

Une nuit, cette semaine, je me suis réveillée en sursaut, assise carré dans mon lit, intimement convaincue d’être victime d’une sinistre invasion de domicile. Le boucan. Les cliquetis. Les choses déplacées avec fracas. Les cris de souriceau. Si. Les cris. C’était Bénito, le diable au corps et la hargne aux chakras, qui hurlait à s’en fendre la glotte. Comme ça. Sans être blessé, captif d’un tupperware ou coincé dans un appel le sollicitant à cotiser à un CELI.

Depuis, chaque soir, Bénito brasse des affaires derrière le four en hurlant, sans rien briser, ni manger, ni ravir (tout ça se produit certes, mais je n’en trouve aucune trace). Il hurle peut-être pour me dire à quel point sa vie craint, grave. Il maudit ma maison. L’hiver. Mes plans de le capturer à l’aide d’une chaudière et d’une languette de carton saucée dans le beurre de pinottes. Que fait-on, quand le souriceau qui s’invite chez soi devient attachant? Quiconque le rencontrerait coifferait son crâne, CE SI PETIT RÉCIPIENT OSSEUX, d’un très joli chapeau de Pâques sur-le-champ.

L’empoisonner, l’achever à l’aide d’une trappe ou d’une graine de ciguë dans son Salada, mon cœur ne saurait le supporter. L’attraper à l’aide d’un filet à papillons et le sacrer au bout de mes bras dans un vieux banc de neige m’apparaît tout aussi cruel. Mais voilà; Bénito doit partir.
J’ai l’impression de m’apprêter à liquider tatie Danielle. Et c’est terrible.

La bise à suivre.

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