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Violence conjugale: les femmes en situation de handicap oubliées

Linda Gauthier. Photo: Archives/Josie Desmarais

Les femmes en situation de handicap victimes de violence conjugale sont «totalement oubliées» quand vient le temps de lutter contre celle-ci, dénonce la présidente du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), Linda Gauthier. Pourtant, elles risquent trois fois plus d’en être victimes et sont plus vulnérables que les femmes n’ayant pas de limitation, rapporte-t-elle.

«Il y a 21 ans, j’ai moi-même été victime de violence conjugale, confie la militante. Je n’en ai jamais parlé publiquement, mais si c’est ce que ça prend pour qu’on soit prises au sérieux, je vais le faire.»

Pendant 14 ans, elle est restée coincée dans une relation où il y avait beaucoup de violence psychologique, alors qu’elle perdait sa mobilité. Impossible de quitter son partenaire. Elle ne gagnait que 600 $ par mois, et elle devait transférer ce montant dans son compte de banque à lui.

Si je voulais m’acheter une paire de bas, je devais lui demander la permission.

Linda Gauthier, présidente du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec

Elle se souvient d’un accident de voiture l’ayant menée à l’hôpital. Elle était saine et sauve, mais sa voiture était perdue. Pour la punir, son mari l’a ignorée, refusant de lui adresser la parole pendant trois semaines. Mme Gauthier était dépendante financièrement et physiquement d’une personne qui abusait d’elle.

La goutte qui fait déborder le vase

C’est une infolettre, dont Métro a obtenu une copie, qui a causé un ras-le-bol chez la présidente du Regroupement pour l’inclusion. Envoyée à plusieurs organismes en amont du 8 mars par le secrétariat de la Condition féminine (SCF), elle communiquait le lancement d’une campagne publicitaire visant à sensibiliser la population au sujet de «la violence conjugale sous toutes ses formes».

Aucune mention des femmes en situation de handicap ne s’y trouvait.

Pourtant, on vit plus de violence conjugale, parce que notre situation fait qu’on est plus vulnérables. Le monde s’imagine que comme on est handicapées, on est aussi asexuées, qu’on n’a pas de conjoint, qu’on ne fait pas l’amour et qu’on ne vit pas de violence conjugale. Alors qu’on a une vie normale comme tout le monde.

Linda Gauthier, présidente du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec

Lors d’une discussion avec des représentants du gouvernement, la semaine dernière, le regroupement a tenté de faire rectifier le tir. «Ils nous ont dit que c’était trop tard pour cette année, qu’ils n’y avaient pas pensé.» La question que se pose la militante est la suivante: comment le gouvernement peut-il oublier ou ignorer l’enjeu, alors qu’il en connaît l’existence?

C’est «affin de ne pas marginaliser des groupes de population», que le SCF aurait choisi de de ne pas illustrer spécifiquement certains contextes de vulnérabilité, «le message [privilégié] demeurant que la violence conjugale peut toucher tout le monde».

Le RAPLIQ à obtenu, en 2020 et 2021, 10 182$ sur deux ans pour un projet d’évaluation des besoins en adaptation des maisons d’hébergement. Il assure également avoir financer un autre projet d’un autre organisme dans l’année financière 2022 et 2023. Il ne spécifie pas le montant investi.

Ce n’est pas suffisant, martèle Mme Gauthier. La Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF) n’en ferait également pas assez pour aborder publiquement cet enjeu, ou pour assurer une accessibilité universelle à ses ressources. Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, lui, «commence à en faire plus». Mais ce ne serait encore une fois pas suffisant.

Emmanuelle Champagne, une maman à mobilité réduite, a les mêmes inquiétudes. En 2019, elle a survécu à une agression sexuelle commise par un homme qu’elle fréquentait. Après qu’elle l’eut laissé, il lui a envoyé des clichés sur lesquels il posait avec des armes à feu. «J’ai tellement fait de démarches pour avoir une place dans un centre d’hébergement, pour dormir en sécurité», se souvient-elle. En vain.

En plus de se heurter à un manque de place, elle a été confrontée à des centres n’étant ni inclusifs ni accessibles. Étant tout de même autonome, elle a dû monter des marches et effectuer des tâches douloureuses et difficiles à accomplir dans sa situation.

La FMHF déplore que la «faute» soit mise «sur les épaules des associations provinciales tels que la FMHF et le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale». En plus d’avoir émis plusieurs recommandations à cet effet dans un rapport datant de 2010 qui aurait «été tabletté», elle juge que «le gouvernement provincial tarde à mettre en place [ces] recommandations».

La fédération rappelle que les fonds pour rendre les maisons d’hébergement universellement accessibles sont fédéraux.

Mme Gauthier aurait été contactée par plusieurs membres de la FMHF depuis l’été dernier, dit celle-ci, «notamment la YWCA de Québec ainsi que la Maison l’Aquarelle à Chibougamau». La présidente du RAPLIQ se dit tout de même démoralisée devant le peu de soutien et de visibilité qu’obtient sa cause, qu’elle a l’impression de porter à bout de bras.

Une vision du féminisme qui dérange

L’approche du gouvernement envers les femmes en situation de handicap ayant subi de la violence conjugale rappelle à Linda Gauthier les propos de la ministre responsable de la Condition féminine Martine Biron, rapportés par Le Devoir. L’intersectionnalité ne serait pas la vision du féminisme adoptée par le gouvernement.

Si c’est ça, sa vision du féminisme, Martine Biron n’est pas à sa place.

Linda Gauthier, présidente du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec

«On n’arrête pas de nous dire que la sécurité des femmes est importante, mais on nous oublie, critique Emmanuelle Champagne. J’aurais pu devenir une statistique de féminicide, et ce n’est pas parce que je ne suis pas allée chercher de l’aide. Ça aurait été parce qu’on m’en a refusé.»

L’Office des personnes handicapées du Québec souligne s’être engagé, en collaboration avec le secrétariat de la Condition féminine, à réaliser un portrait statistique de la violence entre partenaires intimes vécue par les femmes avec incapacité. «Ces travaux sont en cours», fait-on savoir.

Le peu de statistiques sur le sujet témoigne d’une ignorance et d’un je-m’en-foutisme, interprète Linda Gauthier. Les statistiques les plus récentes de Statistique Canada, transmises par l’Office des personnes handicapées du Québec, datent de 2014.

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