Les courageux

C’était au printemps dernier. Une formatrice du Tour de lire m’avait invitée à rencontrer ses participants pour répondre à leurs questions au sujet de mon travail de chroniqueuse au journal Métro. J’ai rencontré des adultes qui n’ont jamais appris à lire et à écrire et qui, un jour, ont pris leur courage à deux mains et se sont lancés dans l’aventure de l’alphabétisation populaire. La semaine dernière, j’ai retrouvé deux des participants et une formatrice du Tour de lire, dans un café de la rue Ontario Est, pour leur poser, à mon tour, des questions.

Nancy Gaudreau avait le début de la quarantaine quand son agente d’aide sociale lui a parlé de cet organisme du réseau alpha pop, ces groupes populaires en alphabétisation. Nerveuse, elle a rencontré un intervenant qui lui a fait passer un test : faire une liste d’épicerie, lire l’heure, écrire une courte lettre. Le lendemain, on l’a rappelée: «J’avais échoué aux exercices, j’étais admise dans le programme!» Aujourd’hui, à 46 ans, Nancy siège au conseil d’administration et au comité des participants. «Avant, j’avais peur que le monde me juge. Au Tour de lire, j’ai pris confiance en moi», explique-t-elle calmement.

L’analphabétisme, la pauvreté et l’exclusion vont souvent de pair. L’approche de l’alpha pop en tient compte. Exposition au Musée des beaux-arts, journal des participants, pétition, collecte de fonds : les activités d’alphabétisation sont souvent aussi des activités de sensibilisation du public. Les participants s’exercent à la lecture et à l’écriture tout en apprenant à s’exprimer, à se faire entendre et à se faire voir par la communauté.

«Tu te dis que t’es tout seul à ne pas savoir lire et écrire. Ça ne paraît pas dans la face du monde! Pis, quand tu y vas, tu te rends compte que tu n’es pas tout seul. Ça enlève un poids», raconte Stéphane Guillemette, 48 ans, très impliqué lui aussi, quatre ans après son arrivée au Tour de lire.

Le parcours qui mène les gens au Tour de lire est souvent le même: «Il y a beaucoup de jeunes du quartier qui décrochent, qui tombent entre les mailles du filet. C’est la débrouille pendant 10-15 ans, puis on les voit arriver dans la trentaine ou la quarantaine. Ils se sont rendu compte que c’est dur, la vie, quand on n’a pas les outils de base», explique la formatrice Marie Auer-Labonté, qui est entrée au Tour de lire parce qu’elle voulait travailler dans un milieu dont les valeurs ressemblent aux siennes. «C’est cliché de le dire, mais c’est ça. Je voulais être là où on combat l’injustice. Je ne fais aucun effort pour me sentir bien avec eux.»

Les deux participants sont d’accord avec leur formatrice : «C’est un milieu où il y a beaucoup de chaleur humaine, d’entraide, de courage. À travers des histoires de vie qui ne sont pas toujours faciles, on réussit à faire ensemble un genre de minisociété où les gens se rebâtissent, se refont confiance et apprennent à prendre la parole.» Mais ce n’est pas juste à eux de faire le travail : «La société aussi a son bout de chemin à faire pour intégrer des gens qui ont des difficultés. Miriam, tu devrais écrire ta chronique en langage simplifié!» La chroniqueuse sourit nerveusement. On fait comment?

Au Tour de lire, on vous accueille avec vos blessures, vos angoisses, vos aspirations et vos ambitions. On vous prend comme vous êtes et on vous accompagne dans un processus qui dépasse de beaucoup l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. On vous redonne une place dans la société.

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