Lancer le bâton
Mercredi soir passé j’avais un show. Première partie de Jean-Thomas Jobin dans un resto-bar de Vaudreuil. Ouin, on fait pas toujours des St-Denis. Ayant perdu mon cell la semaine précédente, j’y suis allé pour le old school Google Maps. Arrivé là où devait se trouver le bar, il y avait, à la place, un bois. Roule un peu, revient, repasse devant, c’est bien le bon spot, et c’est bien un maudit bois. Trouve un dépanneur. Demande pourquoi y’a un bois là où devrait se trouver un bar. Un client à la caisse avec un six pack dans la main : «T’es perdu mon homme! T’es pas à Vaudreuil. T’es à Laval Ouest!»
Google Maps, c’t’un perfectionniste. Y’est pointu.
Rue Saint-Antoine n’est pas Rang Saint-Antoine. Et moi, jamais été à Vaudreuil de ma vie. Je savais juste que c’était dans l’ouest. Faque quand Google Maps m’a dit de prendre la 440 Ouest un bon bout, j’ai pris les directions en note : «Sors là, tourne là, tourne ici, boom rendu. Facile.» Là, j’étais à 30 minutes de Vaudreuil. J’étais pas là pantoute, mais pas pantoute.
Je suis reparti. Avec les indications vagues du gars du dep, ma radio à CHOM qui jouait du vieux rock, ma vieille carte; j’étais en 1976. J’étais bien. Mes sens se sont soudainement éveillés. J’étais plus attentif au paysage autour, aux noms des rues, aux sorties. Je me sentais comme un chien qui, couché au soleil, se faisait soudainement lancer un bâton. J’étais à ON! Ça ne s’est pas arrêté là. Rendu à Vaudreuil, fallait que je trouve le bar. Un autre dep. D’autres indications vagues. «Tourne à gauche au McDo. Tourne à droite au stop!» Le bâton n’avait aucune chance! Je l’aurai dans yeule avant même qu’il touche le sol!
Je me le suis dit souvent, vous aussi sûrement : le GPS m’atrophie le cerveau, tue mes sens, ma mémoire, brime ma confiance en moi, en mes repères, en mon sens de l’orientation. Combien de fois t’as mis ton GPS pour aller à un endroit où t’es allé 15 fois, dont tu connais le chemin, mais… d’un coup? Et te souviens-tu de la fois où tu l’avais pas, ton GPS, pour «x» raisons? Comment y’a fallu que tu te fies qu’à toi, et qu’étonnament, tout était là, dans ta tête? Fallait juste que t’ailles le chercher. Mais la facilité d’utilisation du GPS nous rend lâches, nous donne le bâton direct dans bouche sans qu’on ait à bouger.
Je ne dis rien de nouveau. Cette réflexion-là est aussi vieille que le GPS. Le GPS nous rend paresseux, idiots. Mais j’ai espoir. On sort de 60 ans de malbouffe, de bouffe de labo, de plats congelés, et cuisiner redevient au top, manger bio aussi. Je pense que ce qui est naturellement bon pour nous, même si on le tasse, va toujours revenir. J’pense pas qu’on va finir comme les gros dans le film Wall-E. Un moment donné, on va arriver à un point où le besoin de courir après le bâton va être plus fort que l’envie de peser sur un bouton.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.