Vertige

Photo: Pierre Brassard | www.pierrebrassard.com

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les
usagers du transport en commun. Pour la période estivale, la chronique Hors du commun se déplace vers d’autres lieux reliés au transport en commun. Question de voyager ensemble, un peu plus loin.

Aéroport Charles-de-Gaulle, un après-midi de juillet.

Dans la file qui précède les douanes se trouve un grand garçon. Vieil ado? Jeune adulte? Question de point de vue. Mais selon sa mère, c’est encore un bébé. Et paradoxalement, c’est elle qui, toute menue à côté de lui, semble être une fillette, alors que son poussin géant de dix-neuf ans la protège en lui frottant le dos avec bienveillance.

«Mais t’en fais pas, un an, c’est vite passé… C’est même pas un an… En plus je viendrai à Noël.» La mère-enfant tente en vain de dompter ses sanglots. Elle énonce ses craintes haut et fort, dans l’ordre et dans le désordre : «C’est très loin Montréal, tu ne connaîtras personne, tu seras tout seul, tu ne sais pas cuisiner, c’est quand même une ville nord-américaine, on parle anglais à l’université que tu as choisie, et il paraît que les hivers canadiens sont terribles!»

Devant cette tempête de mauvais présages, le garçon se décompose un peu, mais prend rapidement sur lui. Pour rassurer sa mère? Pour ne pas perdre la face devant elle? Sûrement un peu des deux.

C’est à son tour maintenant de passer la frontière. Il prend sa petite maman éplorée dans ses bras. Elle lui arrive aux pectoraux et sanglote en reniflant dans son t-shirt.

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Son garçon qui l’abandonne, pense-t-elle. Lui qui s’accrochait à ses jupes pour se tenir debout et dont le petit nez chatouillait l’arrière de ses genoux. C’est sa faute! Si elle ne l’avait pas si bien nourri, il n’aurait pas autant grandi. Le fils l’écarte un peu de lui pour la regarder et lui réitère que tout ira bien.

La mère trouve un peu de courage au fond de son sac à main; elle se donne une petite prestance à l’aide d’un rouge à lèvres. Elle adopte ensuite un ton qui se veut autoritaire.

«Tu m’appelles dès que tu arrives!» Le garçon promet et passe les lignes. Je l’aperçois quelques minutes plus tard. Il est en larmes. La grosse boule qu’il retenait dans sa gorge depuis quelques heures vient d’exploser. Je n’ose pas l’approcher, préférant le laisser seul face à ce vide momentané. Parce que si à cet instant, son vertige est grand, le sentiment de liberté que lui procurera ce plongeon sera certainement bientôt l’un des plus beaux qui soient.

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