Les irresponsables du conflit étudiant
Je m’étais promis de ne pas revenir sur le conflit étudiant, parce que je trouvais que tout avait été dit et qu’il y a longtemps que ça n’a plus rien à voir avec les droits de scolarité.
L’actualité l’impose. Et avant qu’on ait un premier mort, peut-être que ça ne sera pas complètement inutile de dresser un bilan des responsabilités. Ou, plutôt, des irresponsabilités.
Irresponsables, les leaders étudiants, de s’être peinturés dans le coin dès le départ avec une position inflexible et irréaliste, et d’avoir compté davantage sur l’exercice d’un rapport de force que sur la justesse de leurs arguments.
Irresponsables en particulier les agitateurs de la CLASSE, dont certains rêvent encore d’un changement de régime qui irait bien au-delà d’un simple changement de gouvernement. Mais on n’est pas en Égypte ou en Libye, encore moins en Syrie. Ici, ça se fait par des élections. Ça signifie qu’on accepte à l’avance de parfois perdre individuellement, parce qu’on y gagne collectivement.
Mais ces étudiants – et non pas « les » étudiants – ont au moins l’excuse de l’inexpérience et d’une certaine naïveté.
Irresponsables, les professeurs qui ont arboré le carré rouge et alimenté la division entre les élèves. Le droit à l’opinion ne dispense pas de la responsabilité de la charge. Une fois le conflit terminé, vont-ils encore traiter les verts de scabs? Quelle belle opportunité perdue d’enseigner les règles de base de la démocratie et de la primauté des institutions et, surtout, d’encourager les jeunes à aller voter, parce que c’est dans l’urne que les grands changements se concrétisent. Jean Lesage n’a pas pris le pouvoir par la rue, il a été élu. René Lévesque aussi.
Irresponsables, les centrales syndicales, qui jettent de l’huile sur le feu d’une jeunesse enflammée, financent et utilisent les associations étudiantes pour régler leurs comptes avec un gouvernement dont ils ont soupé. Si leurs propres membres, pourtant beaucoup plus nombreux, sont moins faciles à mobiliser, c’est qu’il y a peut-être des questions à se poser.
Irresponsables, les artistes, qui ont voulu voir une lutte romantique là où il n’y a finalement qu’un combat corporatiste, à la mesure de tous nos égoïsmes collectifs. Si la justice sociale et les exclus les préoccupent réellement, qu’ils regardent un peu plus bas en sortant du métro et en marchant sur Mont-Royal. Les clodos font moins chic et ils sont moins inspirants, mais ils n’auront pas de salaire décent dans quatre ou cinq ans.
Irresponsable, l’opposition péquiste, qui se comporte comme n’importe quelle autre opposition : systématique, sans nuance, et dont la stratégie dicte la position, qui devient une sorte de saveur du jour. Comme dans plusieurs autres dossiers, madame Marois a pris son courage à deux mains pour n’être ni pour, ni contre, bien au contraire, et attendre de voir le vent souffler avant de se mouiller.
Irresponsable, enfin, le gouvernement libéral, qui a laissé le dossier pourrir avant d’intervenir et qui a traité les représentants étudiants comme n’importe quels autres adversaires politiques, le premier ministre les ignorant même lors d’un passage à l’Assemblée nationale. Pourquoi avoir décidé de garder le dossier jeunesse, si elle ne nous intéresse pas assez pour avoir quelques minutes pour lui parler? Quant à la loi spéciale, elle est encore moins désolante que l’incapacité des libéraux à prévoir l’évidence qu’elle allait assurément aggraver le problème.
Quand un Léo Bureau-Blouin, par son calme, sa pondération, sa dignité dans l’adversité, supplante des politiciens d’expérience qui ont été élus pour la première fois avant que le premier soit même né, on sait que ça ne va pas bien.
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Le plus décourageant, dans ce pseudo-débat, c’est qu’il n’a jamais été question d’accessibilité.
Soyons honnêtes: n’importe quelle personne sensée, de bonne foi et sachant faire quelques additions pourra constater que l’accès à l’éducation n’est aucunement compromis par la hausse, à plus forte raison avec les mesures d’atténuation ajoutées en cours de route. Et à terme, les droits rehaussés seront encore bien en-dessous de la moyenne canadienne.
Certains pensent que le monde a été créé en sept jours et que nos ancêtres ont côtoyé des dinosaures. D’autres croient plutôt qu’une hausse des droits de scolarité accompagnée d’une amélioration des bourses et des mécanismes de remboursement restreint l’accès à l’éducation. Ça n’est pas vrai, mais ça n’a plus d’importance. On est dans l’idéologie.
Aveuglés par la haine – parfois compréhensible – qu’ils ressentent envers le gouvernement Charest, des individus et des pans entiers de la société ont oublié qu’une horloge brisée donne tout de même l’heure juste deux fois par jour. Dans ce dossier, le gouvernement a à peu près tout fait tout croche, incluant de jouer au pyromane avec la loi 78, mais il avait raison sur le fond. Le carré rouge, icône d’un dossier somme toute mineur, est devenu un symbole de tout ce qui ne va pas au Québec.
Le défoulement collectif qui perdure n’a donné aucun autre résultat concret que de foutre le bordel, de polariser les opinions et de rendre encore plus difficile une solution négociée.
Le remplacement de la casse par les casseroles, c’est bien joli, ça fait festif, et ça attire davantage la sympathie que des manifestants masqués. Mais la colère sourde reste la même, et les dangers de dérapages bien présents, particulièrement au centre-ville. Peut-être y aura-t-il entente d’ici là, mais le Grand Prix, dans deux semaines, sera particulièrement alléchant pour les plus radicaux, qui ne seront satisfaits que lorsque Jean Charest aura démissionné et annulé la hausse, et encore.
Peu importe l’issue, tout va se faire ou se défaire aux élections, et les cent et quelque jours de protestations n’auront pas changé grand-chose. La seule différence sera de savoir si on aura eu un mort entretemps…