Dans les limbes

Photo: Getty Images/iStockphoto

Fascinants, les inédits en politique. Un sursaut qui casse la routine, par exemple lorsqu’une règle dont on ignorait l’existence est soudainement invoquée (rappelez-vous la prorogation du Parlement par Stephen Harper qui avait déclenché un véritable feuilleton politique), ou lorsqu’un mécanisme institutionnel qui ramasse la poussière est soudainement déployé.

On est, ces jours-ci, témoins de deux phénomènes qui se produisent rarement : le Sénat canadien a demandé des amendements à un projet de loi, prolongeant encore davantage une autre anomalie : un vide juridique.

Il n’est pas étonnant que le projet de loi fédéral C-14 sur l’aide médicale à mourir soit contentieux et mette le processus législatif sens dessus dessous : c’est un projet né au forceps, induit par une injonction de la Cour suprême du Canada, exécuté en toute vitesse par le nouveau gouvernement libéral.

Ça fait des années que les élus fédéraux ne veulent pas affronter la question du suicide assisté, reportant sans cesse la discussion. Comme pour d’autres sujets qui touchent aux valeurs morales et religieuses (mariage gai, avortement), la cour en a décidé pour eux — en réponse à des demandes de citoyens qui ont voulu faire reconnaître leur droit au suicide assisté ou à l’aide médicale à mourir.

Le plus haut tribunal canadien a forcé la main aux parlementaires, et c’est maintenant les sénateurs qui demandent aux élus de refaire leurs devoirs, notamment afin que la loi se conforme mieux au jugement de la Cour. Le projet de loi est trop restreint par rapport à l’arrêt Carter de la Cour suprême.

C’était sous le précédent gouvernement que la cour avait tranché. Les conservateurs avaient alors préféré attendre plutôt que de réagir au jugement. Héritiers de la patate chaude, les libéraux ont été pressés d’agir dans les délais prescrits par la cour, des délais qu’en date d’aujourd’hui, ils ont dépassés depuis une semaine.

Et nous voilà donc devant un vide juridique et un potentiel match de ping-pong entre la chambre haute et la chambre basse.

Au Québec, qui est la seule province à avoir légiféré sur la question, la loi sur l’aide médicale à mourir est entrée en vigueur il y a six mois. Rapidement, des échos nous sont parvenus sur la complexité de la mise en œuvre de la pratique. Personne ne veut faire d’erreur ici, on procède avec caution. Néanmoins, le vaste processus de consultation des experts et du grand public, mené il y a 5 ans, le délai de 18 mois octroyé pour que les milieux de soins s’adaptent, les dispositions permettant aux médecins de ne pas la pratiquer si cela va à l’encontre de leurs convictions, ces étapes et précautions soigneusement planifiées ont contribué à faire accepter la nouvelle pratique avec une certaine aisance.

Ailleurs au Canada, des patients réclament que leur droit, reconnu par la Cour suprême, à recevoir l’aide médicale à mourir ou le suicide assisté soit respecté par le personnel médical, mais aucun cadre législatif ne guide les médecins, infirmières et pharmaciens, anxieux de devoir mettre en œuvre une pratique pour laquelle ils n’ont pas été préparés.

Cette situation intenable et difficile pour les patients comme pour le personnel soignant, de même que pour ceux qui auraient souhaité qu’on soumette la question à un examen public approfondi, tout cela est le résultat d’un manque de volonté politique. Les élus n’ont tout simplement pas voulu faire leur travail.

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