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Justice pour Joyce

Frédéric Bérard

Été 2011, en vacances avec ma fille, alors âgée de neuf ans. Environ 80 kilomètres de garnottes sauvages nous séparent de Manawan, village attikamek.

-Ève, ça te dirait d’aller visiter un endroit où vivent des Autochtones?

-Oui, ok, mais pourquoi?

-Bah, pour voir autre chose.

-Parce qu’ils vivent différemment de nous?

-Un peu, oui, c’est sûr.

Je voyais dans son visage, d’ordinaire porté à l’aventure, un doute poli. Du genre : euh…quel intérêt de débarquer chez le monde, comme ça, sans avertissement? Et quelle différence profonde entre EUX et NOUS, au fond?, et blablabla.

Je n’y avais moi-même jamais mis les pieds. Mais je me souvenais avoir accompagné mon père, alors enquêteur d’assurances (je suis effectivement le fils d’un genre de police, voilà pour l’effet backlash), dans ses visites dans l’une ou l’autre des réserves de mon coin de pays initial. Parce qu’à chacune de celle-ci, j’étais émerveillé, parlons euphémisme, par l’univers autochtone, peu importe la nation. L’accord humain-nature, le calme, spiritualité et gentillesse de ses gens et, peut-être surtout, leur artisanat.

Caricatural peut-être, mais j’ai conservé de longues années ce petit totem noir, vert et rouge (quand je vous dis que je me souviens) sculpté à la main et m’ayant été offert, du haut de mes sept ans, par une dame au sourire encore inscrit en ma mémoire.

-Je dis ça de même, Ève, mais je suis convaincu qu’ils ont des boutiques d’artisanat assez magiques merci…

-Ah oui? Ok go!

Notre (trop) bref séjour, comme j’en avais la certitude de par mon expérience perso, eu son petit, sinon grand effet. Du fait des conditions matérielles d’existence, bien entendu, mais aussi de la posture adoptée face au capitalisme, nature et environnement social. Un rapport à l’existence souvent distinct, le tout à moins d’une heure de char.

***

Un direct sur Facebook, ce lundi. Une Attikamek de Manawan, 37 ans, hospitalisée à Joliette pour douleurs à l’estomac. Son nom? Joyce Echaquan. De santé fragile, selon son mari. Du genre où elle ne peut prendre de morphine du fait de son coeur.

Dans la vidéo en question, à fendre justement celui-ci en deux, on la voit sur ce qui sera, manifestement, son dernier lit :

« Venez me chercher. Quelqu’un…Venez me chercher [Traduction française]». Toujours en attikamek, on l’entend demander à l’aide, et crier avoir reçu de trop grosses doses de médicaments… « On essaie de me droguer. »

En voyant la vidéo en question, sa mère se précipite sur la ligne afin de parler à l’infirmière. On lui raccroche la ligne au nez. Elle rappelle….en vain.

Une panique dont la légitimité se galvanise du fait des propos tenus, toujours dans la vidéo, par des membres du personnel de l’hôpital:

La première : « Je pense que tu as de la misère à t’occuper de toi, on va le faire à ta place. »

La deuxième : «Esti d’épaisse de tabarnouche… C’est mieux mort, ça. As-tu fini de niaiser… câlisse? T’es épaisse en câlisse».

Celle-ci de poursuivre :

«T’as fait des mauvais choix, ma belle. Qu’est-ce qu’ils penseraient, tes enfants, de te voir comme ça? Pense à eux autres un peu… C’est meilleur pour fourrer qu’autre chose, pis on paie pour ça. Qui tu penses qui paie pour ça?».

Joyce Echaquan est morte dans ces circonstances surréalistes, assassinée par l’une des tueurs en série les plus cruelles en lice : la haine commandée par l’ignorance, préjugé et refus de l’Autre.

No Justice, No Peace. Idem pour l’humanisme.

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