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Tkhafish

Dalila Awada
Photo: Métro

Dans les dix derniers jours, des vidéos filmées par des Palestinien∙es sont devenues virales. Celle de Ahmad Al-Mansi en fait tristement partie. On le voit tenter de distraire ses deux filles, terrifiées par les avions militaires qui déchirent le ciel de Gaza. Il les rassure du mieux qu’il peut, leur dit de continuer à jouer. Le bruit des avions s’intensifie, les filles prennent peur et cherchent à se cacher. Le père dit en arabe tkhafish, tkhafish. N’aie pas peur.

Quelques jours plus tard, de nouvelles images de la famille Al-Mansi circulent. Il n’y a plus de pyjamas bleu et rose, ni tresse ni boucle dans les cheveux des filles. Il ne reste plus qu’une image sombre de laquelle se détachent leurs pleurs. Ahmad, le père, a été tué par l’attaque aérienne.

Tkhafish, leur disait-il jusqu’au dernier instant. Le seul visionnement de cette vidéo déclenchent de vives émotions. Qu’a ressenti Ahmad avant de mourir? Et ses filles, au moment où les bombardements qu’elles craignaient ont atteint la maison? Malgré l’horreur, il s’en trouvera pour rationnaliser, nuancer, justifier, évoquer des torts partagés. Mais ce discours a fait son temps.

Les dirigeants des grandes puissances font à ce sujet piètre figure. Ils pourraient agir avec fermeté mais se contentent, plus souvent qu’autrement, de commenter du bout des lèvres, d’appeler à la désescalade, de poser des gestes court-termistes, obnubilés, sans doute, par des considérations économiques et géostratégiques. Ou alors, ils se montrent carrément complices en réaffirmant sans compromis leur appui au gouvernement israélien.

Le premier ministre canadien ne fait pas exception. Depuis le début du conflit, il emploie un discours convenu faisant appel au calme «des deux côtés». Pire, il prend soin d’insister sur l’idée que le Canada soutient le droit d’Israël à se défendre et ce faisant banalise l’intervention militaire dévastatrice qui a fait 230 morts, dont de nombreux enfants. Justin Trudeau n’est pas sans savoir que lorsqu’une puissante armée s’en prend à des civil∙es, on est loin du registre de l’auto-défense. Il s’est même défilé sur la question de vente d’armes. Le Canadian Foreign Policy Institute soulignait également que des organismes de bienfaisance enregistrées au Canada soutiennent financièrement l’armée israélienne.

Dans les circonstances, le gouvernement canadien peut-il être crédible lorsqu’il parle de paix et de solution?

Désormais, des spécialistes et des ONG, dont des israélien∙nes, n’hésitent plus à parler d’un régime d’apartheid. Les politicien∙nes qui ont le courage de le nommer ainsi ne courent pas les rues…mais on a pu entendre, par exemple, Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib aux États-Unis, et Gabriel Nadeau-Dubois chez nous. À l’inverse, l’hypocrisie et la mollesse chez des dirigeants pavent la voie aux violences envers les Palestinien∙nes ; elles permettent au gouvernement israélien d’agir en toute impunité.

La trêve annoncée jeudi ne signifie pas que la communauté internationale peut s’asseoir sur ses lauriers. D’abord, parce que le cessez-le-feu se produit plus de 240 morts plus tard et ensuite parce qu’il y a peu de chances que cet épisode violent soit le dernier. Un «répit» entre deux périodes sanglantes et destructrices n’est pas une victoire.

Heureusement, depuis une semaine, des tabous tombent. Cet épisode convaincra bien des gens que la passivité, les silences et les louvoiements ne sont plus une option. Avoir le courage et l’éthique de dire les choses comme elles sont est le minimum que nous devons aux Palestinien∙nes et à toutes celles et ceux qui étouffent sous le joug de la colonisation.

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