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Pour un Québec à la hauteur des enfants

Photo: monkeybusinessimages - iStock
Martin Causin, directeur général du Bureau international des droits des enfants (IBCR)

LETTRE OUVERTE – Il y a près de 20 ans, le Québec était «fou de ses enfants», et entamait une révolution dans sa manière de concevoir la petite enfance[1]. Plus récemment, le Rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, ou Rapport Laurent[2], nous invitait à «instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes». Toutefois, plus de 30 ans après la ratification de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant par le Canada, force est de constater que l’esprit et le contenu de cette Convention tardent à faire leur chemin dans nos pratiques et notre discours public.

Les propos de Luis Miranda, maire de la ville d’Anjou, formulés à l’encontre d’un adolescent il y a quelques jours ont suscité la réprobation générale. Ainsi, lisait-on, cette attitude paternaliste est à déplorer et ce jeune est à féliciter. Toutefois, sous leur grossièreté et leur virulence, les propos du maire révèlent une façon de penser largement répandue dans notre société, selon laquelle les enfants sont vus comme des êtres à protéger. En adulte bienveillant, nous pouvons les féliciter lorsqu’ils prennent la parole, mais nos institutions et nos manières d’agir continuent à prendre de haut ce que disent les enfants, considérant qu’ils ne peuvent pas comprendre et s’exprimer au même titre qu’un adulte.

Pourtant, les enfants sont des citoyens à part entière, dotés de droits par une Convention restant à ce jour le traité de droits humains le plus ratifié au monde; droits reconnus par notre pays et notre province, dont celui d’exprimer leur opinion sur les sujets qui les concernent[3]. M. Miranda n’a pas seulement été paternaliste, il n’a pas respecté le droit de cet enfant à s’exprimer et à participer au débat public. Parmi les 42 articles de cette Convention, figure également celui à exercer ses droits sans discrimination. Autre droit[4] bafoué par le maire d’Anjou. Qu’ont «ces jeunes-là», M. Miranda, qui vous amène à les indexer ainsi?

La Convention relative aux droits de l’enfant a proposé, il y a 30 ans, un changement majeur dans la façon de concevoir un enfant. Ce dernier n’est plus seulement un être à protéger, mais une personne à part entière, autonome et capable d’agir. Pourtant, encore trop souvent, notre réflexe protectionniste nous pousse à être « fous de nos enfants », à leur construire une société bienveillante », au lieu de les consulter et de les considérer pour favoriser leur épanouissement. La pandémie de Covid-19 a été révélatrice à cet égard. Alors que de nombreuses décisions concernant les enfants et les jeunes ont été prises pendant ces deux années, ceux-ci ont été peu impliqués dans les réflexions associées. Plusieurs adultes se sont auto-proclamés porte-parole des enfants, mais peu leur ont réellement donné la parole et la place qui leur revient de droit[5].

Dans notre société, de nombreuses voix s’élèvent pour refuser que l’on parle pour elles sans leur présence. Le miroir déformant fourni par M. Miranda est un appel à l’action : il est temps de connaître et de reconnaître que les enfants ont des droits, reconnus par nos états, dont celui de s’exprimer et d’être écoutés sur les sujets qui les concernent. Le temps des félicitations lorsqu’ils le font est révolu, celui des réprimandes, encore plus. Nous devons changer notre façon de percevoir les enfants, et créer les mécanismes et les espaces pour qu’ils soient impliqués et entendus de façon systématique. Nous ne pouvons plus décider pour eux sans eux.

Il est temps que le Québec se mette à la hauteur des enfants.


[1] Le rapport « Un Québec fou de ses enfants » déposé par le psychologue Camil Bouchard en 1991 a eu un impact majeur sur les politiques pour l’enfance et familiales de la province. Les recommandations énoncées ont notamment mené à la création du réseau des centres de la petite enfance (CPE).

[2] Avril 2021. Rapport de la commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, https://www.csdepj.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport_final_3_mai_2021/2021_CSDEPJ_Rapport_version_finale_numerique.pdf

[3] Article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE)

[4] Article 4 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE)

[5] https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-01-18/ou-sont-les-enfants.php

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