Urgences: les mesures Dubé, un petit pansement sur un gros bobo
«Pourquoi on ne l’a pas fait avant?» lâche le Dr François Marquis, chef du service des soins intensifs de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Interrogé sur la pertinence des mesures prises hier par le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Christian Dubé, pour désengorger les urgences du Grand Montréal, il se dit satisfait, mais sceptique.
«Il y a beaucoup de choses qui ont de l’allure là-dedans, des choses reconnues. […] Dans le système de santé, car c’est une grosse machine avec son inertie, il faut faire attention avant de changer chaque engrenage. Il faut être capable de regarder l’impact», avertit le médecin.
Le ministre de la Santé vise juste en voulant renforcer la première ligne, s’entendent les professionnels de santé. L’élargissement et le renforcement du service 811 – qui permet aux citoyens d’être redirigés vers le service adéquat en fonction du problème de santé – sont des mesures attendues de longue date.
«Le ministère avait mis ça en place pour les rendez-vous en pédiatrie pendant la pandémie, puis ça a été abandonné [cette année]. La dernière fois, ça avait désengorgé les urgences», souligne Félix-Olivier Bonneville, infirmier et président du Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires du CHU Sainte-Justine.
Mais «l’algorithme pointe rapidement les gens vers les urgences», regrette le Dr Marquis. Il invite donc le ministère à «s’assurer que les gens aient plusieurs options», comme les CLSC, plutôt que le triage se fasse à l’hôpital.
Du personnel fatigué
Le «triage» n’est qu’une variable dans l’équation. La surcharge vécue dans les services d’urgence trouve aussi sa source dans le manque de lits. Le taux d’occupation au Québec est de 121%, et atteint 129% à Montréal. Au Centre hospitalier de St. Mary, ce taux grimpe à 159%, entraînant une surcharge de travail importante pour le personnel.
«Je n’ai jamais vu ça aussi saturé. On est tellement débordé qu’on nous demande de faire toujours plus. On sait à quelle heure on rentre, mais on ne sait jamais à quelle heure on va sortir», relate Joanne Scullion, infirmière à St. Mary depuis une trentaine d’années.
Je me sens mise en danger physiquement et mentalement. Il n’y a plus d’infirmiers qui rentrent dans la profession, on fait quoi? Où sont parties toutes les infirmières, M. Dubé?
Joanne Scullion, 60 ans, infirmière au Centre hospitalier de St. Mary
Car si le manque de lits peut être atténué par les mesures prises par le ministre Dubé, la question de la pénurie de personnel n’est pas réglée. Plusieurs professionnels de la santé rencontrés par Métro considèrent que ce sont les conditions de travail bien plus attractives du secteur privé qui sont à la source de ce manque de bras.
«Ça prend de l’humanité dans la gestion, sinon on n’arrivera pas à redorer le blason du système de santé. Avant, on était un employeur de choix, ce n’est plus le cas pour bien des gens. On voit plus ça comme un choix de job intelligent et il faut changer ça», martèle M. Bonneville.
D’autres options
Ces problématiques de rétention de personnel touchent aussi l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, confirme François Marquis. Ce dernier craint que la création, annoncée par le MSSS, de cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées en fasse perdre aux hôpitaux. «Il faut que ces endroits-là soient garnis d’infirmières qu’on a rappelées et qu’on a été capable de convaincre de revenir dans le système public», affirme-t-il.
D’autres options restent sur la table du ministère. Par exemple, faire appel aux CLSC pour le suivi après une opération ou une hospitalisation. Car si certains patients nécessitent un suivi à l’hôpital, d’autres pourraient rentrer chez eux et être suivis à domicile. Certains attendent trop longtemps pour sortir et «occupent des lits pour rien».
«On n’a pas besoin de libérer la moitié de l’hôpital. Si on se débarrasse de ces 9 à 20 lits par jour, et en empêchant 20 hospitalisations inutiles [avec le triage], on libère 40 lits virtuels», fait valoir le chef de service des soins intensifs. «Aller grappiller quelques pourcentages, ça peut aider beaucoup.»
Christian Dubé a composé une cellule de crise, misant sur une vingtaine de spécialistes. Celle-ci pourrait éventuellement mesurer l’impact des dispositions prises, et les ajuster.
«On trouve que ces solutions-là vont dans le bon sens. On va mettre en place les initiatives adoptées le plus rapidement dans l’intérêt de nos patients», affirme Christian Merciari, porte-parole du Centre intégré de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’est de Montréal, particulièrement touché par la surcharge des urgences.