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L’essentiel et l’insignifiant

CHRONIQUE – L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant, écrivait il y a longtemps René Char, ami de Camus et, surtout, penseur sous-estimé.

Difficile, en 2023, de soustraire la dynamique de nos priorités sociétales du postulat de Char. Parce qu’alors que le monde crame, l’attention populaire s’assassine d’insignifiances sans nom. S’il fallait distinguer l’intérêt public de l’intérêt «du» public, ce dernier, indubitablement, remporte la palme. Celle du futile, voyeurisme et sensationnalisme. Exit l’humanisme, l’intellectualisme et la justice sociale. La faute des médias, traditionnels inclus? Un peu, oui, bien entendu. Mais dans cette concurrence déloyale des GAFA, comment survivre sans succomber, les oreilles bouchées, au chant des sirènes du clic?

J’exagère? Peut-être, mais j’en doute. Question: quelles nouvelles ont partiellement défrayé, depuis 2022, la manchette?

À l’œil, vite de même:

– La saga d’Occupation double, voire les fausses péripéties d’une poignée de douchebags sans talents autres que les dents blanchies.

– Le party «d’influenceurs» à bord d’un avion Sunwing, lequel a non seulement fait un tour planétaire (le récit du party, pas l’avion), mais a obligé une réplique officielle du premier ministre canadien. Mieux, une conférence de presse du charlatan en chef aura attiré l’ensemble des médias québécois ou presque, élevant ainsi la bêtise narcissique au rang d’intérêt national.

– Les dernières bisbilles familiales de frérots membres de la famille royale (ou ex-membre, allez savoir). L’un qui aurait poussé l’autre, lequel ne parle plus à sa belle-soeur, surtout depuis que grand-maman est morte (ou un truc du genre). Quand même ironique, sachant l’apparent désintéressement monarchique du Québec ayant mené à la terminaison du serment à Charlot.

– Des influenceurs ne reculant devant aucune aventure afin de satisfaire les fantasmes inavoués de leurs auditoires – exponentiels – respectifs.

– Les photos Instagram de la fille du chef du SPVM. Trop woke aux goûts de trop de chroniqueurs, ce dernier aura été victime d’un job de bras pas trop subtil, où on lui reprochera – comme si c’était de sa faute! – le déguisement d’Halloween de sa progéniture. Des anti-woke qui veulent interdire certains accoutrements au nom de la rectitude par procuration. Eh ben.

– Des anecdotes sur les excès de quelques étudiants ou militants trop crinqués, alimentant l’interminable (et gazante) cassette anti-woke, jouée inlassablement par maints haut-parleurs médiatiques. Maintenant considéré comme la menace civilisationnelle par excellence, le wokisme – et surtout la réécriture publique du lexique afférent – permet maintenant à plusieurs de se gâter de propos homophobes, racistes ou transphobes, déchirant leur chemise sur la nouvelle petite sirène noire, d’une patate-jouet en plastique asexuée, ou encore, du fils de Superman bisexuel. La grosse affaire.

Or, pendant que l’on s’occupe l’esprit – et les débats – avec ces indicibles conneries, le populisme et l’extrême droite grimpent à peu près partout, dans l’apathie la plus complète. France, Suède, États-Unis, Brésil, Royaume-Uni et Italie, pour seuls exemples. Là où se trouvaient au tournant de la décennie des États de droit repoussant les affres liberticides, on voit dorénavant une montée graduelle du repli sur soi, des attaques envers les institutions jadis sacrées et de la haine de l’Autre, migrant au premier chef.

Pire, peut-être: le réchauffement climatique gagne chaque jour du terrain, ici encore dans l’indifférence totale. Le tiers du Pakistan à la flotte? L’Antarctique qui vient de fondre d’une coche supplémentaire? Le Canada comme l’un des plus grands émetteurs, per capita, de GES?

Bah. S’en fout. Dissertons plutôt sur l’histoire des jujubes rectaux de la «fille de l’UQAM».

– Papa, pourquoi t’as rien fait, quand il était temps, pour la lutte climatique?

Reste encore quelques années pour se gosser une excuse.

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