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Quand Manu Larcenet et Daniel Pennac font corps

Photo: Collaboration spéciale

Le bédéiste français Manu Larcenet, auteur de Blast, a illustré le Journal d’un corps de Daniel Pennac, dans un album que ce dernier vient présenter au Salon du livre de Montréal.

Ces deux-là s’entendent si bien qu’on dirait deux copains d’école. Une génération les sépare? Aucune importance, surtout quand on a des amis communs. Daniel Pennac et Manu Larcenet plaisantent à la terrasse d’un café dès la première question, sur les circonstances de leur rencontre.

«Ça s’est joué entre ma femme, qui m’a fait découvrir le livre, Hélène Werlé qui est notre attachée de presse, et un ami commun, Vincent…» se souvient Manu Larcenet. Daniel Pennac ajoute : «Je connaissais le boulot de Manu avant de le rencontrer. J’adorais Le Combat ordinaire, et quand Hélène me l’a présenté, j’étais très content.» «Moi, je n’en menais pas large ! renchérit Larcenet. Parfois on tombe sur des gens durs, méprisants, et parfois on tombe sur Daniel. C’était comme si on se connaissait déjà.»

Entretien croisé de deux auteurs dont la complicité est à la hauteur de l’estime qu’ils se portent.

Comment les dessins sont-ils arrivés sur le feu?

Daniel Pennac : Notre ami Vincent m’a dit : «Manu est en train de dessiner à partir du Journal d’un corps.» Je lui ai dit de continuer, de couvrir le bouquin tout entier. Conseil n°1 : ne pas l’emmerder, aucune consigne ! C’est sa lecture, il est entièrement libre. A l’époque, j’étais en Italie en train de travailler à une pièce de théâtre, et je recevais chaque jour un ou plusieurs dessins… (il les montre sur son iPhone.) Il m’a tout envoyé au fur et à mesure. Je me disais, ce garçon travaille à une allure inouïe ! Il y en avait 200… Tout ça m’enchantait.

Manu Larcenet : J’avais envie d’en faire plein. Le corps, c’est un sujet que j’ai effleuré du bout des doigts, dans Les Rêveurs par exemple. Et là, il y avait cette écriture magnifique, et cette différence de sensations… ça a déclenché comme une logorrhée. La question du corps, je tournais autour sans y plonger, et là j’ai pu y aller à fond. Je n’aurais pas osé s’il n’y avait pas eu le texte de Daniel.

Daniel Pennac, aviez-vous l’impression de découvrir un autre livre que le vôtre?
D.P. : J’ai assisté à la lecture de quelqu’un. Pour un auteur, c’est inestimable, rarissime : quelqu’un qui vous offre quotidiennement sa lecture, sa représentation mentale de ce que vous écrivez, interprété dans son monde à lui, qui est radicalement différent du mien mais où le ressenti est le même. Je voyais ce bouquin lu par Manu, développé dans une tête qui n’est pas la mienne. Ça se ressemble beaucoup dans le ressenti, et c’est très différent dans la facture.

M.L.  : J’étais un peu paniqué parfois en voyant la patience et la minutie avec laquelle Daniel décrit des choses qui sont chaotiques pour moi. Du coup, ça m’a donné envie de ne surtout pas aller dans son sens, pour ne pas être redondant, mais plutôt de me rappeler ce calme qui n’est pas le mien. Le narrateur semble avoir fait la paix avec les mots, avec son corps. Je fais presque l’inverse, mais on se retrouve dans plein d’endroits.

Qu’est-ce qui change le plus?
D.P. : L’univers social est perceptible dans les deux lectures : mon narrateur est une espèce de haut fonctionnaire, un bourgeois assez propre sur lui, et dans l’univers de Manu le père est un prolo, mais le sentiment de filiation est exactement le même. Dans le livre, il y a une grande puissance du rapport père-fils, et le souvenir du père ne s’estompe pas. C’est ce que Manu montre avec la force de ce bras, sur cette image.

M.L.  : Le rapport au père est aussi une des choses qui m’ont le plus passionné dans le roman.

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Les sensations deviennent exacerbées quand on confronte le texte et l’image…
D.P. : Au début, le narrateur écrit le journal de son corps dès pour maîtriser ses sensations. Or notre corps passe son temps à nous faire des surprises. A la longue, c’est un rapport de surprise maîtrisée. Un éternuement par exemple, c’est une surprise familière… Manu a redonné une intensité à ça.

M.L.  : Alors que je n’ai jamais rien maîtrisé, j’ai toujours pris en pleine gueule les changements, les altérations du corps… Tout ça, c’était terrifiant pour moi. Peut-être parce que je n’étais pas assez informé.

D.P. : L’information ne change pas grand-chose au rapport intime que les gens entretiennent avec leur corps. Un cancérologue qui attrape un cancer est tout aussi paumé que n’importe qui. Avec en plus l’inconvénient du savoir!

Journal d’un corps
Aux éditions Gallimard

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