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Anastasia, Ukrainienne 

Photo: Josie Desmarais/Métro

CHRONIQUE – Le visage respire, à travers nos écrans Zoom, un étrange mélange de confiance et de calme indignation. De résilience et refus de résignation, aussi. 

Anastasia est devenue montréalaise, enfant, au même moment où sa mère, journaliste, y déménageait les pénates familiales. Visitant son Ukraine natale à maintes reprises depuis, nombre de ses proches, très proches, y résident toujours. 

– On savait l’attaque possible, sinon probable. Mais j’imagine que même au dernier moment, on conserve espoir d’éluder la catastrophe?

– Oui et non. Parce que depuis 10 ans, ce sont les mêmes rengaines, mêmes velléités russes. Le même film, quoi. Reste que la puissance de l’attaque, la force des bombes, sa sauvagerie envers les civils, elles, demeurent surréalistes. Comme plusieurs autres choses, d’ailleurs.

– Par exemple?

– Notamment le fait qu’ils aient également attaqué l’ouest du pays; ça franchement, on n’aurait pas cru, vu l’expérience antérieure. Idem aussi, côté surréalisme, quant aux discussions pré-agressions, avec ma famille.

La gorge se noue un brin, perturbant l’imperturbable. Mais Anastasia poursuit:

– On a discuté, longuement, de plans d’évacuation. De se doter de rations d’essence suffisantes. De bouffe sèche. On leur a envoyé des montants substantiels, avant un potentiel gel bancaire.

Bref silence.

– Et il y a, maintenant, toutes ces images. Celles d’orphelins dans des sous-sols, ou plutôt des caves de service. Ces… ces refoulements d’égouts, vous voyez?

Les mots me manquent, à vrai dire.

– Depuis le 24 février, soit le début de l’invasion, les jours les plus longs de ma vie s’accumulent…

Elle se ravise sitôt.

– Non, je ne sais plus. Plutôt l’impression de me retrouver en plein vacuum temporel, en fait. 

– Vos journées se déroulent comment?

– Le matin, on fait le tour de la famille. Histoire de savoir si… si… tout le monde est en vie. 

Re-silence.

– Ensuite, on regarde les nouvelles plus générales, apprendre ce qui s’est produit au cours de la nuit.

– Et Poutine?

Elle hésite, avant de trancher, péremptoirement.

– Tout a été dit sur lui. Rien à ajouter. 

– Je comprends.

– Sauf peut-être ceci… Il y a une déconnexion entre lui et la réalité. Les informations qu’il a reçues sur l’état des forces en présence étaient erronées, visiblement. Il croyait ramasser le pays en quelques jours à peine, et son enlisement est assez spectaculaire. Plusieurs russophones de nos régions refusent d’ailleurs leur «libération» par Moscou…

– Un plan bancal, donc?

– Oui, et la menace pour lui peut venir de l’intérieur. Les mesures économiques sont, en premier lieu, dures pour la population. 

Depuis le début de l’entrevue, un truc me tarabuste. La question qui ne peut, mais doit, être posée. Parce que névralgique et affreuse en soi. J’ose. À reculons. Du bout des lèvres. 

– N’existe-t-il pas un paradoxe, en rapport à la surprenante résistance ukrainienne?

– C’est-à-dire?

– Dans le sens où on est évidemment ébahis par la façon dont les militaires et civils ukrainiens combattent; chaque petite victoire sur vidéo est hallucinante… Mais n’y a-t-il pas un risque, réel, que plutôt que de perdre la face, Poutine y aille pour disons… le grand jeu?

– C’est la crainte, oui, absolument. Et l’Ukraine perdrait. L’Europe aussi. Le monde entier, également.  

Nouveau silence.

– Mais ce qui se produit présentement est déjà, évidemment, une tragédie pour notre peuple. Pour notre reconstruction. Pour ces bonnes gens, de grande valeur, morts au combat. 

– Une perte d’espoir en l’humanité et l’humanisme, aussi?

– Non. Parce qu’on peut gagner. 

– Et si… la victoire était du côté russe?

– Je ne peux envisager la défaite. Par respect pour l’Ukraine. Pour ceux et celles qui s’y battent avec un courage formidable. On ne peut perdre, non.

– Je vois, oui.

– Et vous savez quoi? Après plusieurs jours, voire semaines, à tenter d’encourager mes proches, arrive un moment où on ne sait plus trop quoi leur dire.

– J’imagine bien.

– Or, peu avant l’invasion, j’ai pensé à ceci, même si je trouvais la formule un peu dérisoire: les gens sont derrière vous. La communauté internationale est derrière vous. Tout le monde est derrière vous. 

La voix se casse. Quelques secondes s’écoulent. Éternité.

– Ils m’ont répondu: «Oui. On sait.» 

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