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Québec n’a rien proposé pour reloger les personnes itinérantes sous l’autoroute Ville-Marie

Le campement sous le l'autoroute Ville-Marie.
Le campement sous l'autoroute Ville-Marie Photo: Quentin Dufranne, Métro Média

Le gouvernement du Québec n’a offert aucune proposition concrète depuis son premier avis d’éviction en novembre dernier pour reloger les personnes en situation d’itinérance qui campent sous l’autoroute Ville-Marie. Pourtant, Québec s’était engagé à tenter de trouver des solutions avant de démanteler le campement pour entreprendre des travaux majeurs.

La Clinique juridique itinérante demande une ordonnance judiciaire pour repousser l’éviction des campeurs par le ministère des Transports (MTQ) au 15 juillet 2023. Les parties se sont de nouveau retrouvées devant les tribunaux lundi, les discussions pour en arriver à une entente s’étant avérées infructueuses.

«Qu’est-ce qu’on a fait concrètement pour éviter que [les campeurs] se retrouvent aujourd’hui devant l’imminence de se faire évincer manu militari?», a demandé lors de l’audience Me Éric Préfontaine, qui représentait la Clinique juridique itinérante. L’avocat du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt a rappelé que le gouvernement avait annoncé un sursis au démantèlement au mois de novembre pour essayer de trouver une solution à long terme pour les personnes évincées.

«Jamais le ministère ne s’est engagé à les relocaliser», a soutenu pour sa part l’avocate du procureur général du Québec, Me Nancy Brûlé. «On est dans un processus volontaire. Dans la mesure où ils ne veulent pas [se faire aider], c’est difficile de faire quelque chose», a-t-elle précisé à la juge Chantal Masse de la Cour supérieure. La juge Masse s’est d’ailleurs dite “bouche bée” devant la passivité du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, invitant le gouvernement à être plus “proactif”.

Le CIUSSS est en contact avec les campeurs depuis plusieurs années, a assuré l’avocate du gouvernement. Or, «ces gens-là, pour différentes raisons qui leur appartiennent, n’ont pas établi de lien de confiance avec le CIUSSS.»

À défaut d’une ordonnance judiciaire, le campement, situé près de la rue Guy et de l’avenue Atwater, sera démantelé par les policiers le 12 ou le 15 avril prochain.

Un démantèlement aux effets «absolument dévastateurs»

«La pire des solutions, c’est de ne rien faire. La moins pire des solutions, c’est de retarder l’éviction pour qu’elle se fasse dans des conditions qui sont minimalement acceptables», a lancé Me Préfontaine.

L’avocat a souligné les «conditions extrêmes» dans lesquelles vivaient les campeurs, rappelant que le mercure avoisinait -10 °C la nuit dernière. «Ils ont essentiellement un toit sur leur tête, et c’est l’autoroute Ville-Marie, a-t-il déclaré. Si on les expulse […] où peuvent-ils se relocaliser?»

Ce sont des gens qui n’ont pas grand-chose […]. Une des seules choses qu’ils ont, c’est leur communauté et les bénéfices qu’elle leur apporte.

Me Éric Préfontaine, avocat chez Osler, Hoskin & Harcourt, représentant la Clinique juridique itinérante

Me Anabel Semerdzhieva, qui représente également les demandeurs, a souligné au tribunal les obstacles sociaux et administratifs auxquels font face les personnes en situation d’itinérance quand vient le temps de trouver un logement permanent ou même un lit dans un refuge. «Ils font face à des systèmes d’exclusion qui se superposent les uns aux autres, a-t-elle déploré. Ils sont pris dans un cercle vicieux qui les rend invisibles.»

Il y a seulement 1600 lits disponibles dans les refuges montréalais, a affirmé l’avocate. Beaucoup trop peu pour héberger les 3149 personnes itinérantes à Montréal, selon un dénombrement effectué en 2018.

Par ailleurs, les campeurs, «extrêmement vulnérables», peuvent s’entraider a rappelé Me Anabel Semerdzhieva. Certaines personnes y habitent depuis plusieurs années. Un résident qui y vit depuis 10 ans agit comme «protecteur» en aidant les autres à se nourrir, à gérer leur consommation de drogues et d’alcool et leur porte assistance en cas d’urgence, a-t-elle illustré. Des trousses de Naxolone, antidote au fentanyl, sont également disponibles sur place, a-t-elle ajouté.

Un démantèlement sans prise en charge des campeurs aurait des «effets absolument dévastateurs», selon Me Semerdzhieva.

Des travaux nécessaires et pressants, selon le MTQ

«Leurs histoires sont d’une grande tristesse», a reconnu Me Brûlé. «Il reste que ces gens-là occupent un terrain sans droit», a-t-elle poursuivi, rappelant que le MTQ est propriétaire du terrain sur lequel le campement est installé.

Les travaux qui seront entrepris dans le cadre de la réfection de l’échangeur Turcot dureront environ trois ans. Les piliers de l’autoroute Ville-Marie, dont ceux près desquels vivent les campeurs, doivent être réparés pour «assurer la capacité structurelle», a-t-elle déclaré.

Le ministère doit s’assurer que les routes soient sécuritaires. Que les infrastructures soient sécuritaires.

Me Nancy Brûlé, avocate du procureur général du Québec

La cohabitation entre le chantier et les personnes itinérantes est impossible, avance l’avocate. Feu au campement, clôture coupée, circulation de personnes intoxiquées à côté du chantier, deux personnes endormies dans l’équipement: l’entrepreneur qui a effectué les prétravaux aurait rapporté diverses situations dangereuses, explique-t-elle. La cohabitation prolongerait également la durée des travaux, à ses dires.

«Les travaux doivent se faire, et ils doivent commencer à un moment donné», a ajouté Me Marie Couture-Clouâtre, qui représente également le MTQ. «Plus ça retarde, plus il y a des risques potentiels.» Un retard complexifie également la coordination avec la Ville de Montréal pour assurer la circulation, a déclaré Me Brûlé.

La juge Chantal Masse a invité à plusieurs reprises les parties à discuter pour trouver une solution «rapide» et «pratique» en dehors du cadre judiciaire.

L’octroi d’un délai de grâce avant le démantèlement ne permettra pas aux campeurs d’éviter le préjudice, mais seulement de le retarder, a-t-elle rappelé. Ceux-ci peuvent également revenir après leur éviction, a-t-elle ajouté. «Ma décision, quelle qu’elle soit, ne règlera pas la situation définitivement».

L’audience se poursuivra demain, au palais de justice de Montréal.

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