Les vieux seins de Susan
Comme deux semaines nous séparent de mes écrits, il arrive que je me garde en travers du pharynx une nouvelle ou deux, sans pouvoir ici m’agiter le plumeau. Ainsi, le 31 janvier dernier, Susan Sarandon, ma Louise, a causé l’émoi en s’exposant la falle aux SAG (Screen Actors Guild) Awards.
Parée d’un audacieux veston blanc, Susan avait décidé que, ce soir-là, elle ne porterait qu’un soutien-gorge noir et pas de blouse, en dessous. Bustier en évidence, la fabuleuse est donc montée sur scène, telle une panthère, pour rendre un hommage senti aux disparus Bowie, Alan Rickman et Leonard Nimoy.
Mais le souci, OH, le souci, c’est que Sue a récemment fêté ses 69 ans.
Et selon certains cafards, quand ça fait neuf ans qu’on s’use la sexagénie, il est de bon ton de se wrapper le poitrail dans une brassière couleur chair, de porter une toge en laine bouillie, pis d’asseoir ses petites fesses triangulaires de femme qui a passé l’âge du patin à roulettes dans un fauteuil orthopédique, dans le fond de la salle, en priant pour pas lever les pattes avant le buffet (et céder le tapis rouge aux pâquerettes, dont les mamelons se dressent pour les kodaks dans leur robe see through, s’il te reste UN PEU
d’amour-propre).
Le scandale a pris feu en la venimeuse bouche de Piers Morgan – animateur et apparemment brigadier du bon goût et de la bienséance féminine – qui s’est d’abord permis un petit commentaire qui retrousse sur la tenue outrageusement déplacée-sexée pour une femme de son âge. À la surprise du pouf, ça n’aura pris qu’une vesse pour que les réseaux sociaux s’emparent, encore ce matin, du buste de Susan, le casseau plein de jeux de mots de canisses qui pendent, de chairs gériatriques et de santa maria qui suintent devant le désolant spectacle du temps sur des seins que nous ne saurions voir.
Susan Sarandon est à l’heure de son corps. Et il appert qu’elle soit, de surcroît, une femme superbe. Une femme qui ne questionne ni sa tenue, ni son âge, ni même la légitimité de sortir arroser ses bégonias en nuisette.
Parce que ce corps lui appartient. Et si l’envie lui prend de se glisser dans une paire de leggings pas de culottes et de se pencher bien bas pour ramasser sa carte du Bel Âge en pointant le pied, grand bien lui fasse.
Gloire aux seins bananes des années 1930. Aux petits furtifs. Aux poitrines qui louchent, qui fripent ou qui se gorgent fièrement d’eau saline. Ici, sur ce papier et sous cette encre, je revendique le droit de me célébrer les aréoles comme je l’entends, jusqu’à l’épitaphe. Et si le spectacle de mes balles flasques qui tourbillonnent dans le vent comme les rubans d’une gymnaste vous donne envie de vous vider dans le pot de chambre, de grâce, investissez dans un mine. Un pen pal. Ou le Livre de la lumière.
Parce qu’à l’hospice, drapée dans mon négligé, je partagerai pas ma boîte de chocolats Merci avec vous.
La bise.