Jour J: Montréal en guerre
Des usines de Verdun aux plages de Normandie, Montréal joué un rôle important dans la campagne militaire qui allait mener à la Libération de la France et à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En ce 75e anniversaire du Jour J, retour sur l’effort de guerre montréalais.
Une ville, un pilier
Après la reddition de la France en 1940 et avant l’entrée en guerre des États-Unis et de l’Union soviétique l’année suivante, le Canada est pratiquement le seul allié de la Grande-Bretagne dans son combat contre l’Allemagne.
Montréal, à ce moment la plus grande ville du pays et son cœur industriel, se transforme en véritable arsenal pour les forces alliées.
Des usines existantes sont converties à la production militaire et des dizaines d’autres sortent de terre. On bâtit des navires de guerre dans Hochelaga-Maisonneuve, des chars d’assaut à Rosemont et à Lachine, et des milliards de cartouches de fusils à Verdun.
«La Seconde Guerre mondiale a créé une convergence qui a permis l’éclosion de plusieurs industries à Montréal», explique Sébastien Vincent, historien et éditeur du site web Le Québec et les guerres mondiales.
C’est notamment le cas de l’aviation, qui prendra son essor à Ville Saint-Laurent. Le conflit donne également naissance à l’aéroport de Dorval, devenu aujourd’hui l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau.
Montréal est devenu du même coup une plaque tournante pour le transport des appareils assemblés au Canada et aux États-Unis, qui partent du nouvel aérodrome pour un long transit vers l’Angleterre et les théâtres d’opérations européens.
«La ville était un point de départ vers l’Europe pour beaucoup de matériel de guerre : chars d’assaut, navires, canons, fusils, uniformes, etc., ajoute Serge Durflinger, professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa. Montréal avait un rôle clé. C’était un centre majeur pour l’industrie de défense du pays.»
Ironiquement, la guerre aura permis aux Montréalais de sortir finalement de la crise économique des années 1930. Alors que le taux de chômage frôle encore les 10% au déclenchement de la guerre en 1939, les besoins militaires gonflent la production industrielle et mène au plein emploi. Un essor économique qui bénéficiera également aux femmes.
«Les Montréalaises, comme beaucoup de Canadiennes, ont profité de la guerre pour découvrir et occuper le marché du travail. Ces années de guerre ont constitué les premiers jalons de l’émancipation des femmes par le travail», soutient Sébastien Vincent.
Sur le front
Le 6 juin 1944, 14 000 Canadiens traversent la Manche pour débarquer sur la plage de Juno, en Normandie. Sur ce nombre, il y a un seul régiment québécois, le Régiment de la Chaudière, basé en Beauce.
Plusieurs Montréalais, francophones et anglophones, prendront tout de même part à cette opération historique au sein d’unité de reconnaissance, d’artillerie, de la marine ou de l’aviation.
Les unités proprement montréalaises interviendront plus tard au cours de la longue et ardue campagne de Normandie : le Régiment de Maisonneuve, les Fusilliers Mont-Royal et le Black Watch, unité anglophone qui accueillait aussi des francophones dans ses rangs.
À la fin de la campagne de Normandie, fin août, les pertes canadiennes totalisent 5 000 morts et 13 000 blessés.
«On parle de 1 500 pertes par semaine, pendant 11 semaines. Ça équivaut à 1 500 familles par semaine, 200 par jour qui reçoivent des télégraphes pour apprendre que leur fils ou leur mari a été tué ou blessé en Normandie. Pour un pays trois fois moins populeux qu’aujourd’hui, c’est énorme» –Serge Durflinger, spécialiste de l’histoire militaire canadienne
Au total, 214 soldats du Régiment de Maisonneuve seront tués et 778 blessés. Les Fusiliers Mont-Royal perdront 365 soldats et verront
1 043 de leurs hommes être blessés.
Une guerre politique
Le 5 août 1940, le très populaire maire de Montréal Camillien Houde est arrêté par la Gendarmerie royale du Canada à sa sortie de l’hôtel de ville pour s’être prononcé contre l’imposition de la conscription.
«Si le gouvernement veut un mandat pour la conscription, qu’il revienne devant le peuple et sans le tromper cette fois» –Camillien Houde, ancien maire de Montréal
L’ex-magistrat sera libéré après quatre ans dans un camp d’internement. Accueilli par une foule en liesse à son retour à la gare Windsor, il sera réélu à la tête de la ville.
Une preuve de l’opposition des Montréalais (et des Québécois) à la guerre, comme le veut la croyance populaire? Pas tout à fait, selon les historiens.
«La population était capable de séparer Houde, le maire, de sa position sur la conscription», estime Serge Durflinger.
«On pense souvent à la crise de la conscription, mais on oublie que la vaste majorité des citoyens était impliquée dans l’effort de guerre, par l’enrôlement, le travail en usine ou l’achat de bonds de guerre», poursuit-il.
Si le Québec s’est effectivement prononcé contre la conscription lors du référendum de 1942 (à 72 %), sa participation au conflit a tout de même été importante.
«Le Québec est l’une des provinces qui ont le plus participé aux campagnes d’emprunts de guerre, soutient Sébastien Vincent, qui rappelle que, lors de l’entrée en guerre du Canada, le Régiment de Maisonneuve a été l’un des premiers à combler ses effectifs volontaires.
Selon ses estimations, 131 000 «Canadiens français» auraient servi dans l’armée canadienne durant le conflit, et ce, volontairement.