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Hors du commun: Rage au volant

Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne orange, direction Côte-Vertu. Nous sommes jeudi. Il est environ 10 h.

Dans le premier wagon du métro, en dehors des heures de pointe, les vélos et autres objets roulants sont bienvenus. Les usagers en général le savent. Et, si on oublie quelques passagers récalcitrants, voire en désaccord avec cette politique d’accueil, celle-ci fonctionne assez bien.

Justement, ce matin-là, entre dans le wagon de tête un homme d’humeur mauvaise.

Le même jour, un jeune couple délicat, probablement en route pour une balade le long du canal Lachine, a décidé de s’abriter dans le métro pour un segment du trajet, vu les averses insistantes que laisse tomber présentement le ciel sur la ville.

Les amoureux ont docilement appuyé leurs montures et regardent passer les stations en silence.

L’homme hirsute a spontanément un geste de recul en voyant le duo de cyclistes. Il fronce ses sourcils broussailleux avec fougue, très agacé par cette cohabitation artificielle. Il s’assoit à l’écart et maugrée suffisamment fort pour être entendu: «Hé! Déjà qu’on se les tape partout dans les rues. Il faut les supporter ici, en plus! J’ai mon voyage!»

Son voyage, cet homme l’effectue habituellement en voiture. Cette dernière étant au garage, il s’est résigné aujourd’hui à prendre le métro. Une première fois en six ans.

Je sens que le couple sur roues inspire à M. Grommel un sentiment d’hostilité pavlovien. Il se remémore toutes les fois où il a évité la catastrophe en ouvrant sa portière. Et tous les moments où on l’a coupé, frôlé, puis engueulé, alors que ce sont ces cowboys urbains qui, se croyant au-dessus des lois, se comportent en sauvages.

J’imagine que c’est ce qui habite en ce moment cet homme renfrogné, à en juger par le regard chargé de ressentiment qu’il adresse aux cyclistes tranquilles. Ces derniers, un peu intimidés et ne comprenant pas ce qui inspire tant de haine à ce passager, détournent les yeux vers un autre horizon.

Pour mal faire, le couple et l’homme orphelin de voiture descendent à la même station, Place-Saint-Henri. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans l’esprit de l’homme, mais voilà que, coup de théâtre, il donne priorité aux cyclistes qui sortent en le remerciant. A-t-il fait ce geste courtois pour se racheter de toutes les fois où il a sacré, un peu fort et un peu pour rien? Ou a-t-il eu une épiphanie, comprenant soudain que la rage, par définition, est contagieuse? Que les gens, qu’ils soient à pied, à vélo ou au volant, peuvent se mettre en colère?

A-t-il saisi que la meilleure façon de ne pas encourager l’épidémie était de s’abstenir de mordre?

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