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La plaisanterie

Photo: thinkstockphotos.ca

Vous avez déjà lu La Plaisanterie, de Kundera? Un jeune militant communiste d’ex-Tchécoslovaquie envoie une lettre à sa copine, dans laquelle il ridiculise, par voie de sarcasme, l’idéologie marxiste. Une simple blague de type jeune baveux, mais qui tourne bien mal pour le bougre. Interceptée par les autorités, la lettre lui vaut à la fois excommunication et école, voire prison, de «rééducation».

Ce bouquin de Kundera, excellent par ailleurs, a été la première chose qui m’est venue à l’esprit lorsque j’appris la nouvelle suivante: un élève musulman de 5e secondaire du Collège Charlemagne a été arrêté par les flics, menottes aux poings. La raison? Le jeune aurait employé, dans la cour d’école, le terme «sauter». Imaginez donc. Un musulman qui emploie le mot honni. On ne niaise pas avec ça. Parce qu’à moins d’être un naïf à la sauce idiot utile (merci à Djemila Benhabib pour le gentil qualificatif), quiconque connaît l’équation suivante: musulman + «sauter» = acte de terrorisme imminent.

Son arrestation fait alors suite à son expulsion immédiate du Collège, et mène tout droit à des accusations en bonne et due forme. Accusations de «menace», pour être précis.

Mais de quelle menace, vous demandez-vous? Bah. D’avoir utilisé le terme «sauter». Il est musulman, après tout. Voilà qui devrait suffire à convaincre un juge d’un danger bien réel.

Sauf que le jeune étudiant, qui fréquentait le Collège depuis la prématernelle (!) sans aucun problème de comportement, avait une bonne explication à fournir. Il a employé le mot «sauter» dans le contexte suivant: «J’ai dit à mes amis que j’allais sauter en bas du Collège si j’obtenais une mauvaise note». Témoignage corroboré, devant le juge, par les trois amis en question. Hon.

L’adolescent est alors rapidement acquitté par le tribunal, la Couronne n’ayant apparemment aucune preuve à offrir à ce dernier. Re-hon.

Insulte à l’injure: dans la déposition de la directrice de l’école à la police, celle-ci affirme que l’étudiant en question aurait lu, avant les «événements», le Coran. Imaginez donc, vous. Un musulman qui lit le Coran. Et qui emploie ensuite, quelques mois plus tard, le terme «sauter». CQFD.

Aujourd’hui, la famille de l’étudiant poursuit au civil le Collège en question en dommages. Mon conseil? Mettez l’argent de l’épicerie sur leurs chances de succès…

Deux choses à retenir de cette loufoque et triste histoire.

Premièrement, et quoiqu’en pense les frileux de la nation, l’islamophobie ne relève en rien du «concept frauduleux». Elle existe au quotidien. Même dans les endroits où l’on s’y attend le moins, par exemple dans un collège huppé et multiethnique.

Deuxièmement, que le quotient intellectuel policier se veut nécessairement à géométrie variable. Vous vous rappelez des rafles de la Crise d’octobre de 1970, là où les flics pouvaient alors perquisitionner ou arrêter quiconque sans mandat judiciaire (appelons ça le wet dream de tout agent policier)? Eh bien un pauvre bougre s’est ramassé menottes aux poings pour avoir eu l’outrecuidance de déposer, dans sa bibliothèque personnelle, un livre de Picasso sur le… cubisme. Quel lien avec la Crise d’octobre? Facile: Cubisme=Cuba=Castro=Communisme! Allez, dans le panier à salade!

Et non, ce n’est pas une plaisanterie.

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