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Québec promet une réforme du droit de la famille

Graham Hughes / La Presse Canadienne Photo: Graham Hughes/La Presse canadienne
Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — La ministre de la Justice, Sonia LeBel, s’engage à entamer une réforme du droit de la famille dans le premier mandat du gouvernement caquiste.

«J’ai l’intention de faire cette réforme dans le premier mandat — à tout le moins qu’elle soit suffisamment bien engagée pour qu’on ne puisse plus reculer par la suite», a affirmé Mme LeBel mercredi à l’Assemblée nationale, qui a ajouté qu’elle n’avait pas «l’intention d’étirer ça ad vitam aeternam».

Cet engagement survient alors que huit anciens ministres libéraux et péquistes signent un manifeste réclamant une modernisation du droit de la famille pour ajuster celui-ci aux nouvelles réalités sociales.

En entrevue avec La Presse canadienne, l’auteur du manifeste, le professeur de droit Alain Roy, a expliqué que la réalité moderne est telle qu’il est devenu impératif de procéder à une mise à jour et de cesser de lier le droit de la famille au mariage.

«Il faut sortir des repères traditionnels; on est en 2018, il y a des réalités familiales qui s’imposent à nous et si on veut véritablement protéger les enfants et les différents acteurs qui peuvent être en position de vulnérabilité, il faut être capable de s’affranchir des schémas traditionnels», a-t-il fait valoir.

«Changer la porte d’entrée»

Le professeur Roy souligne que 40 pour cent des couples québécois vivent en union de fait et que 62 pour cent des enfants naissent hors mariage et échappent ainsi aux protections offertes par le droit de la famille lors de la rupture des parents.

«On ne s’assure pas, par le critère du mariage, de couvrir toutes les réalités qui méritent d’être couvertes», insiste-t-il.

«Il faut changer la porte d’entrée du droit de la famille. Ça ne doit plus être le mariage, ce doit être la présence d’un enfant quelle que soit la forme de l’union conjugale, qu’on soit en union de fait, qu’on soit en mariage, dès lors qu’il y a un enfant, les mesures de protection économique du droit de la famille devraient s’appliquer.»

Outre la situation des enfants de conjoints de fait, Alain Roy note qu’il y a de nombreuses situations dont le droit actuel ne tient pas compte et qui présentent des défis considérables au législateur, notamment celle des familles reconstituées avec ou sans mariage.

Le beau-parent: un étranger sur le plan juridique

«Nous sommes déjà dans un contexte de multiparentalité dans les faits, constate-t-il. C’est une question très complexe. Par exemple, il faut absolument qu’on reconnaisse le rôle du beau-parent, qui est actuellement un étranger sur le plan juridique.»

«Parfois le beau-parent a assumé des responsabilités parentales très importantes et, au moment de la rupture, l’enfant n’est pas en mesure de maintenir une relation avec ce beau-parent parce que son parent décide de rompre, alors que l’enfant est un sujet de droit à part entière; on ne peut pas tout simplement gommer ses intérêts, ses droits, au nom de la rupture», plaide-t-il.

«Ce n’est pas un postulat moral; c’est une réalité factuelle et le droit doit s’ajuster au profit des enfants», tranche le spécialiste du droit de la famille.

LeBel: «rien d’acquis»

Sonia LeBel demeure prudente pour l’instant, insistant sur la nécessité pour elle de consulter d’abord son ministère et faire le point sur l’avancement des travaux.

L’occasion était belle, toutefois, pour blâmer l’inaction du gouvernement précédent en la matière, lui qui a reçu un rapport de plus de 600 pages contenant 82 recommandations du Comité consultatif sur le droit de la famille présidé, justement, par le professeur Alain Roy. Ce rapport, déposé en 2015, n’a eu aucune suite.

«C’est difficile pour moi de répondre pourquoi le gouvernement précédent ne l’a pas fait. Je ne vois pas qu’est-ce qui a été si difficile dans le passé», a-t-elle laissé tomber.

Une chose est déjà claire, toutefois, c’est qu’il faudra consulter: «Dans la réforme proposée par M. Roy, il y a un changement de paradigme, au niveau de la façon dont on voit les familles, donc il y aura certainement certains points de consultation qui devront être faits auprès de la population.»

La ministre n’a pas voulu s’avancer sur les nombreuses questions qui lui ont été soumises; assujettissement des conjoints de fait aux mêmes obligations financières que les couples mariés? Partage du patrimoine familial similaire? Liens de filiation des mères porteuses?

«On doit examiner les liens juridiques qui pourraient découler de gens non mariés qui décident de fonder une famille. On doit examiner si on va avec un ‘opting in’ ou un ‘opting out’, est-ce qu’on crée des liens juridiques d’entrée de jeu et on demande aux gens de s’en défaire?» s’est-elle interrogée à voix haute.

«Il n’y a rien d’acquis au moment où l’on se parle.»

«Nous sommes dans un changement de philosophie au niveau du droit familial», a-t-elle reconnu à son tour, notant au passage qu’en l’absence d’une révision depuis près de 40 ans, «les tribunaux font des réformes à la pièce, ou des interprétations à la pièce».

«Il faut absolument que ce dossier débloque»

Cette dernière affirmation a obtenu un écho auprès de la députée péquiste Véronique Hivon: «Ce sont les législateurs, ce sont les élus, quand il y a des questions sensibles qui se posent, qui doivent faire le travail et non pas laisser ça entre les mains des tribunaux.»

Mme Hivon, qui a dit accueillir «très positivement» l’intervention des huit anciens ministres, a suggéré à la ministre de déposer un avant-projet de loi pour accélérer la démarche.

«Il faut absolument que ce dossier débloque», a-t-elle martelé, ajoutant qu’il serait aussi possible de choisir la voie d’une commission non partisane pour aller de l’avant, tout comme celle qu’elle avait elle-même pilotée pour en arriver à un projet de loi sur les soins de fin de vie.

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Liste des ex-ministres signataires du manifeste (en ordre chronologique):

– Marc-André Bédard (PQ), notamment ministre de la Justice de 1976 à 1984. Il est le père de la Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille (L.Q. 1980, c. 89).

– Monique Gagnon-Tremblay (PLQ), notamment ministre déléguée à la Condition féminine et responsable des Services de garde de 1985 à 1989. On lui doit, avec son collègue Herbert Marx, la loi ayant institué, en 1989, le patrimoine familial.

– Herbert Marx (PLQ), ministre de la Justice de 1985 à 1988. Voir ci-dessus.

– Louise Harel (PQ), notamment ministre responsable de la Condition féminine de 1996 à 1998. Elle est à l’origine du modèle de fixation automatique des pensions alimentaires pour enfants.

– Paul Bégin (PQ) notamment ministre de la Justice de 1994 à 1997 et de 2001 à 2002. Il est le parrain de la loi ayant introduit en 1997 la médiation préalable obligatoire en matière familiale. Il est également le père de la loi ayant institué en 2002 l’union civile au profit des conjoints de même sexe et consacré l’avènement de la filiation homoparentale.

– Serge Ménard (PQ), notamment ministre de la Justice de 1997 à 1998. Il est à l’origine de la loi de 1999 qui a permis de reconnaître aux conjoints de fait de même sexe les mêmes droits sociaux et fiscaux que les conjoints de fait hétérosexuels.

– Linda Goupil (PQ), notamment ministre de la Justice de 1998 à 2001. Elle est l’instigatrice du programme de médiation familiale gratuite pour les parents avec enfants à charge instauré en 1997.

– Nicole Léger (PQ) notamment ministre de la Famille de 2012 à 2014. Pionnière de l’implantation et de la mise en œuvre des Centres à la petite enfance (CPE) et des services de garde.

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