Maudits incultes
Si la cathédrale Notre-Dame avait été construite à Chambly plutôt qu’à Paris, vous gagez combien que ça ferait un bout qu’on l’aurait démolie? Trop vieille, escaliers de pierre trop étroits, trop chère à entretenir, fort possible qu’un «responsable» aurait envoyé les bulldozers pour la mettre à terre en un rien de temps. Préférablement au beau milieu de la matinée, pour ne pas trop ameuter les témoins…
Question: non mais c’est quoi le problème avec notre passé et le respect de nos monuments? Je ne parle pas des monuments érigés sur des socles, je parle des monuments qui le sont devenus au fil du temps. Ces repères qui sont là pour nous rappeler ce que nous avons été et qui sont en soi porteurs de sens. La démolition de la Maison Boileau de Chambly est un exemple parfait de notre incapacité à gérer notre propre patrimoine et à respecter notre histoire. Suffit d’un power-trippeux de passage dans un hôtel de ville et, hop, voilà 200 ans d’histoire qui se ramassent dans le conteneur à déchets. Ça fait peur. Le génie qui a ordonné cette opération sauvage pourra bien essayer de se justifier en nous rappelant que le bâtiment n’était pas classé. Je lui répondrai qu’on n’a pas besoin d’un certificat émis par le gouvernement pour connaître la valeur d’un lieu. Suffit d’être minimalement intelligent. Pour certains, ça semble être trop. Aller contre l’évidence dans un cas comme celui-là, c’est commettre un crime d’inculture grave. Inculte comme dans insensible. Insensible comme dans épais. Épais comme dans le plus mince.
Le cas de Chambly n’est pas unique, des décisions stupides de la sorte, il s’en prend régulièrement partout et il s’en est pris souvent au Québec quand, pour des raisons aussi futiles que mal avisées, on a décidé arbitrairement d’effacer des traces de notre passé. Parfois, trop rarement, une intervention de dernière minute peut permettre de renverser la vapeur. Rappelons-nous que le maire Drapeau avait voulu faire démolir le Château Dufresne, un rare joyau d’architecture de l’est de Montréal, situé à l’angle de la rue Sherbrooke et du boulevard Pie-IX, afin d’y construire un stationnement réservé exclusivement aux invités VIP pour ses Jeux olympiques de 1976! Une épiphanie de dernière seconde avait épargné le bâtiment. Quarante-deux ans plus tard, imaginez le portrait s’il avait fallu…
Hier midi, au moment même où j’allais entreprendre la rédaction de ce que vous lisez présentement, on apprenait que l’enseigne du magasin Archambault Musique avait été décrochée de la façade de ce mythique édifice situé au cœur du centre-ville. Pourquoi? Parce que l’actuel propriétaire de la bâtisse a décidé qu’il fallait la déplacer, la rendant ainsi moins visible. En faisant clairement fi du symbole qu’est une telle enseigne. Vestige de l’époque où l’affichage en ville était essentiellement en langue anglaise, au temps pas si lointain des Montreal Rubber, des Pitt Shoes et autres Morgan’s Department Store, l’enseigne lumineuse d’Archambault Musique était l’un des rares endroits où la langue française scintillait et pouvait nous faire briller chez nous.
Hier, quelqu’un quelque part a décidé qu’un pan de notre histoire devait céder son ancrage à quelque chose de neuf. Sur un coin de rue qui appartient à un homme qui, il y a quelques années à peine, levait le poing haut dans les airs en clamant très fort son désir de faire du Québec un pays.
Un pays dont la devise est «Je me souviens». Je n’en rajouterai point.