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Certifiera? Certifiera pas les semences?

Photo: Getty Images/iStockphoto

Le projet de loi C-18, présentement à l’étude à Ottawa, vise à certifier les semences que les agriculteurs mettent en terre et qui proviennent de leurs récoltes précédentes.

S’il est peu médiatisé, le projet suscite de nombreux débats dans le milieu agricole. À l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, Métro fait le point sur la question.

Pourquoi le projet de loi C-18?

Récolte agriculture
Depuis 1991, le Canada fait partie de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Celle-ci a adopté au fil des ans des conventions encadrant notamment l’utilisation des semences. La dernière convention, qui date de 1991, prévoit que les producteurs agricoles doivent obtenir une autorisation pour mettre en terre des semences certifiées, les reproduire, les vendre et les exporter.

La Loi canadienne sur la protection des obtentions végétales repose sur la convention de 1978. Le projet de loi C-18 vise à faire en sorte que le Canada se conforme à la convention de 1991 en modifiant notamment la Loi sur la croissance dans le secteur agricole.

Ce sont surtout les producteurs de céréales qui seront touchés par la nouvelle législation canadienne sur la reproduction des semences, d’après l’administrateur de la Ferme Tourne-Sol et membre du conseil d’administration d’Équiterre, Frédéric Thériault, puisque chaque année, plusieurs d’entre eux mettent de côté une partie de leur récolte pour la semer l’année suivante.

«Depuis les années 1970, les variétés sont protégées pendant 15 ans, a expliqué l’agriculteur. Les fermiers achètent des semences, et une redevance est envoyée à ceux qui les ont créées. Ils ont le droit de préserver leurs propres semences. S’ils vendent de nouvelles semences, ils doivent s’assurer que les redevances seront remises à ceux qui les ont conçues.»

Au Canada, c’est le Bureau de la protection des obtentions végétales, qui relève de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, qui décide si une semence est certifiée ou non.

«Avec le projet de loi C-18, a poursuivi M. Thériault, même si un fermier préserve ses propres semence, il va falloir qu’il paie des redevances. Les personnes qui créent de nouvelles semences auront ainsi de nouveaux droits qui leur permettront d’aller percevoir des redevances (…), et leurs variétés seront protégées pendant 20 ans plutôt que 15 ans.»

En faveur du projet de loi C-18

Champ de blé
L’Agence canadienne

d’inspection des aliments défend le projet C-18 en indiquant qu’il «pourrait accroître les investissements dans la sélection des végétaux». Cela permettrait aux agriculteurs d’être plus compétitifs sur le marché mondial, d’après l’agence.

Le professeur associé de l’Université de Guelph Sylvain Charlebois croit pour sa part que le projet de loi C-18 protégera la propriété intellectuelle des chercheurs agricoles. Selon lui, les producteurs agricoles qui échangent depuis des millénaires leurs semences s’adonnent en fait à «de la contrebande».

«Quand les entreprises ne font pas d’argent en raison de la contrebande, on se désintéresse complètement du Canada et on va ailleurs, a souligné M. Charlebois. C’est ce qui se passe un peu au Brésil et dans d’autres régions où les droits de certaines compagnies ne sont pas protégés. On empêche les investissements. Et le résultat de tout cela, c’est qu’on a une agriculture qui est moins performante.»

D’après le professeur de l’Université de Guelph, s’il y a plus de recherche en agriculture, le rendement des agriculteurs sera plus élevé et leurs revenus aussi. «Le rendement moyen des agriculteurs depuis les 10 dernières années a augmenté de façon substantielle en raison de la recherche qui a permis d’améliorer les pratiques», a-t-il dit. L’universitaire pense qu’au bout du compte la certification des semences provenant d’anciennes récoltes pourrait entraîner une baisse des prix des produits agricoles.

Contre le projet de loi C-18

Semences
L’Union paysanne s’oppose au projet de loi C-18 parce que, selon elle, il oblige les producteurs agricoles à acheter des semences certifiées. S’ils choisissent des semences libres de droits, ils ne seront pas admissibles au programme de soutien de l’État, selon le syndicat.

«On va toujours dire qu’on ne vous oblige pas, mais dans les faits, vous êtes coincé, a affirmé le président de l’Union paysanne, Benoît Girouard. Si vous voulez être soutenu, il va falloir des semences certifiées. Et les semences certifiées ne sont pas prêtées par les entreprises. Donc, vous êtes obligé d’en racheter et vous ne pourrez pas les réutiliser. La seule façon de les réutiliser, c’est de les faire certifier.»

La remise en terre des semences est permise, mais elle s’avère très compliquée puisque les semences devront être certifiées. Le producteur agricole peut le faire lui-même, mais il doit a priori suivre une formation.

M. Girouard déplore également que la certification des semences restreigne le choix des variétés agricoles sans garantir leur qualité.

«Pour nous, c’est une antithèse du bio, a dit le président de l’Union paysanne. Le bio est garant d’une protection par rapport aux maladies. Quand votre production est diversifiée, vos légumes de température fraîche réagissent mieux. Mais cette certification amène une concentration génétique. Et les maladies se transmettent dans les céréales beaucoup plus vite lorsque votre génétique est unique.»

La certification des semences aura très peu d’impacts sur le prix des produits agricoles, d’après l’Union paysanne.

Que se passe-t-il ailleurs dans le monde?


Colombie

La Colombie a adopté en 2013 la loi 970, qui interdisait aux paysans de remettre en terre les semences obtenues à partir de leur dernière récolte. La ratification de cette nouvelle législation était nécessaire pour que les États-Unis signent un accord de libre-échange avec la Colombie. À la suite de la destruction de récoltes et de nombreux soulèvements populaires, le pays d’Amérique du Sud est revenu sur sa décision.

Haïti
À la suite du tremblement de terre survenu en Haïti en 2010, Monsanto a fait don de 475 tonnes de semences hybrides. Des agriculteurs haïtiens ont manifesté pour dénoncer ce geste et réclamer la destruction des semences. Ils craignaient la mainmise de la multinationale sur leurs récoltes.

États-Unis
L’UPOV peut compter les États-Unis dans ses rangs depuis 1980. Le pays d’Amérique du Nord a ratifié la dernière convention en 1999. Depuis 1930, il est possible de faire breveter des variétés végétales dans le pays de l’Oncle Sam, ce qui fait qu’il est interdit de reproduire des semences certifiées. Les agriculteurs ont l’obligation de racheter chaque année les semences qui sont protégées.

Europe
L’Union européenne (UE) est membre de l’UPOV depuis 2005. À ce jour, elle a ratifié toutes ses conventions. Elle étudie la possibilité d’interdire la vente et la reproduction de semences qui n’ont pas été certifiées par l’Agence européenne des variétés végétales. Des agriculteurs craignent que cette nouvelle législation restreigne la disponibilité des variétés végétales. Son entrée en vigueur est prévue vers 2016.

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