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Je suis désemparé…

La formule à la mode aurait dû m’imposer le désormais incontournable «Je suis Charlie» comme titre de chronique. Je me suis d’ailleurs empressé de l’utiliser sur mon Facebook quand le slogan est devenu viral mercredi dernier. Comme bien d’autres, je l’ai inscrit sans trop me poser de questions par solidarité pour les victimes, parce que tout le monde le faisait, parce que trop pogné par en dedans, ce fut ma manière à moi de pousser un quelconque cri dans la tempête. Aussi parce qu’au moment où l’horreur nous prend par surprise, on a le droit de se servir de tout ce qu’il y a autour de soi pour lancer un signal de détresse. Oui, le désarroi était là, bien présent et étampé dans nos faces. Dans la mienne comme dans la vôtre, je l’ai vu.

En un claquement de doigts, je suis donc moi aussi devenu Charlie. Même si cet hebdo n’a jamais fait partie de mes lectures régulières, loin de là. Pas mon genre d’humour, pas mon genre de cibles, pas mon genre tout court. Je ne m’intéresse qu’en surface à la politique française et – entre vous et moi – les gags sur la religion, bof… Je m’attarde déjà si peu à la mienne, imaginez quand vient le temps de rigoler de celle des autres… Tout ceci pour dire que Charlie Hebdo et moi avions à ce jour vécu une relation égalitaire en tous points : ils faisaient leur affaire et moi, j’étais totalement libre de faire la mienne. Libre. Il est là le mot clé.

Libre de penser ce que je veux, quand je le veux. Et évidemment libre d’être ému devant cet élan de solidarité qui nous accorde le droit de croire que, dorénavant, les choses ne seront plus pareilles. Au moins pour le temps que ça durera. Libre d’espérer que l’horreur va prendre une pause même si, alors que l’on rêvait à voix haute à un monde meilleur, ailleurs, au Nigeria, d’autres extrémistes enlevaient la vie à plus de  2000 personnes. Surtout des femmes, des enfants et des personnes âgées qui n’avaient pu fuir les lieux des massacres.

On a déjà été déçu par ces réelles poussées de bonnes intentions qui ont fini par disparaître au bout de quelque temps. En fin de semaine, pour les cinq ans du tremblement de terre en Haïti, on a vu dans de nombreux reportages combien les efforts collectifs fournis par des gens merveilleusement bien intentionnés sont tombés dans le fond du gouffre et n’ont finalement mené à presque rien. Rappelons-nous ce désir formel de voir les choses changer là-bas. Nos dons spontanés et signés à grands coups de cœur pour que ce peuple éprouvé puisse au moins se sortir la tête du trou. Cinq ans plus tard, les coffres sont de nouveau à sec, les logements promis sont à moitié construits et les écoles ne sont pas encore rouvertes. La misère semble être l’unique chose qui ne soit pas disparue dans le séisme.

À nos désirs sincères de changer le monde, faudra maintenant et plus que jamais ajouter une bonne dose de vigilance. Et de persévérance. Parce que, on l’a vu bien trop souvent par le passé, quand on se contente de confier cette tâche aux autres, on perd rapidement le fil de nos bonnes actions. Combien de fois, au terme d’une guerre ou au lendemain d’un cataclysme, on a formulé le souhait du «plus jamais»? Et pourtant…

Même si depuis quelques jours, je suis Charlie, je demeure inquiet. Et aussi un peu désemparé.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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