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Le visage blanc de notre télé

Pour avoir dénoncé le manque de diversité à la télévision québécoise, l’animatrice Isabelle Racicot s’est fait proposer de devenir chauffeuse de taxi. On a aussi dit à cette fille née à Mont­réal de «retourner en Haïti» si elle n’était pas contente. La majorité des Québécois ne sont pas aussi racistes, mais la réalité que dénonce Isabelle Racicot, elle, découle de préjugés ethnocentriques qui empêchent l’offre culturelle québécoise d’intégrer davantage les minorités culturelles, comme l’explique Jérôme Pruneau dans son essai Il est temps de dire les choses, qui sera en librairie à compter du 15 octobre prochain.

Ethnologue de formation, le directeur général de Diversité artistique Montréal observe depuis des années les contraintes systémiques auxquelles font face les artistes dits de la diversité (immigrants, enfants d’immigrants nés au Québec, minorités visibles ou audibles, autochtones, etc.). Son ouvrage, étayé de statistiques et de recommandations pertinentes, prend parfois des allures de coup de gueule. Avec raison : les excuses qu’on invoque pour justifier l’absence de diversité, toujours les mêmes, finissent par irriter. «On ne trouve pas de bons comédiens de couleur», «y sont pas attirés par la télé, c’pas notre faute» ou encore «ben là, on a Normand Brathwaite, ça vous suffit pas?».

Un manque de sensibilité de la part des décideurs, une barrière à l’entrée des écoles et des associations professionnelles, un manque de visibilité des artistes issus de la diversité qui entraîne à son tour un manque d’identification des jeunes à la culture québécoise : tout ça concourt à ce que nos écrans nous renvoient une image plus blanche que la réalité. Et lorsqu’on fait une place aux membres des communautés culturelles, c’est trop souvent pour qu’ils correspondent à un stéréotype (le Latino membre d’un gang de rue, le Noir chauffeur de taxi ou la Maghrébine femme de ménage).

L’essai de Pruneau, comme la mission de Diversité artistique Mont­réal, s’intéresse à toutes les formes d’art, pas seulement la télé. Mais c’est peut-être ce médium populaire qui nous révèle le plus crument ce manque de diversité. Malheureusement, lorsqu’on se compare, on ne se console pas. Dimanche soir, en même temps que les Gémeaux, étaient diffusés les Emmy’s, leur équivalent américain. Alors que la cérémonie américaine présentait une vingtaine de nominations de personnes dites de la diversité, le gala du soir des Gémeaux, le seul diffusé en ondes, n’en présentait pratiquement aucune. «La seule chose qui sépare les femmes de couleur des autres, ce sont les occasions. Vous ne pouvez gagner un Emmy pour des rôles qui ne sont tout simplement pas là», a clamé Viola Davis, lorsqu’elle est devenue dimanche la première femme noire à remporter cet honneur. Il y a là une piste d’explication.

Chaque fois qu’on reproche à la télé québécoise son manque de diversité, une attitude de repli en pousse certains à comprendre qu’on accuse tous les Québécois d’être racistes. Les causes sont beaucoup plus complexes, et c’est pour cela que l’essai de Pruneau est à mettre entre les mains de tous les décideurs et artisans de bonne foi qui sont convaincus d’être à l’abri de préjugés ethnocentriques.

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