White Girl: Blanche-Neige à New York

Dans White Girl, son premier long métrage qui a secoué Sundance, Elizabeth Wood a voulu traduire «toute l’intensité de la jeunesse». Plus précisément : de la sienne. Dans les éclairages, dans les sons, dans les situations, tout est amplifié, comme lorsque les choses arrivent pour une première fois. C’est plein de drogue, plein de sexe, plein de sous-entendus, plein de sens.
Au son d’une musique de conte de fées, en pleine canicule, une jeune fille débarque à New York avec sa coloc. Elle a 19 ans, un stage un peu flou dans un magazine branché, une rentrée qui s’en vient à l’université, où elle étudie vaguement en lettres. Elle pense peut-être, éventuellement, qui sait, travailler dans «euh… les médias?» mais en attendant, elle a une curiosité insatiable et un désir de tout essayer. C’est un été de «tout est permis».
Un soir comme ça, elle rencontre un petit groupe de dealers dans son nouveau quartier de Ridgewood, Queens. Ils vendent de la drogue, mais n’en prennent pas. Elle, si. Elle «aime vraiment, vraiment» faire la fête, leur dit-elle. Et la fête commence. Et continue, encore et encore.
Ça ne peut pas bien finir, c’est clair. Et pourtant. White Girl n’est pas un drame glauque qui agit exclusivement comme une mise en garde. «N’essayez pas ça à la maison, les enfants.» Souvent dur et violent, provocant et électrisant, le film est inspiré par la vie de la réalisatrice et scénariste, Elizabeth Wood. Le titre fait à la fois référence au mot de slang utilisé pour la cocaïne et à l’héroïne du film. Une «white girl», donc, qui réalise, troublée, qu’elle peut user de son privilège pour s’en sortir. Qui réalise également que ce même privilège n’est vraiment pas donné à tous. Et que même dans son cas, il n’est pas absolu. Il se termine là où commence celui des hommes en position de pouvoir : un avocat qu’elle devra consulter, son patron au magazine.
«La comparaison récurrente avec Kids est flatteuse, mais ce sont deux films très différents. En commençant par le fait que le mien offre une perspective féminine.» – Elizabeth Wood
«Une prof de scénarisation m’a déjà dit que je ne pourrais jamais appeler mon premier film ainsi, que c’était trop osé. Pffft! Regarde où j’en suis!» lance Elizabeth Wood, en éclatant du rire d’une personne qui en a vu d’autres. D’une personne, aussi, qui ne s’en fait pas outre mesure avec les critiques négatives. «Il y a des gens qui comprennent mon film. D’autres, pas du tout.»
Comme qui? «J’ai été surprise! s’exclame-t-elle. Je croyais que les femmes plus âgées seraient rébarbatives à mon histoire. Maintenant, j’ai honte d’avoir été si sexiste et si “âgiste” parce que, en fait, ça semble être mon public cible. Ce sont les vieux hommes blancs qui s’énervent et grimpent aux rideaux alors que j’étais sûre qu’ils aimeraient ça! Qui n’aime pas voir beaucoup de seins?»
Aujourd’hui mariée et maman, la cinéaste trentenaire est posée. Ou du moins, davantage que lorsqu’elle est elle-même arrivée à New York, directement de l’Oklahoma. Et qu’elle a vécu des expériences «encore plus folles» que celles qu’elle dépeint. Évidemment. «La réalité est toujours beaucoup plus tordue que la fiction.»
Reste que, malgré les éléments inventés, Elizabeth voulait d’abord et avant tout «faire quelque chose d’authentique». Preuve de sa réussite? «Ma meilleure amie et coloc de l’époque – qui a inspiré le personnage de la meilleure amie et coloc – a vu le film. Et elle m’a dit : “Oh mon Dieu, je n’avais aucune idée que ce serait si proche de la réalité! Je dirais qu’environ 85 % de ce qui se passe à l’écran nous est vraiment arrivé!”» Et une majorité de ce pourcentage consiste «à baiser et à fêter». «Habituellement, ce sont des choses réservées aux gars dans les films. Mais aux dernières nouvelles, beaucoup de femmes aiment ça. Et je crois qu’au cinéma elles devraient avoir droit aux mêmes expériences que les hommes.»
Néanmoins, si beaucoup de critiques se concentrent justement sur ces scènes dans les bars (et les toilettes de), White Girl propose aussi un commentaire sur le système judiciaire. Sur cet avocat que l’on assigne au revendeur et qui ne vient même pas lui rendre visite. Sur le caractère excessif des anciennes lois antidrogues Rockefeller, «des mesures très racistes qui menaient des citoyens à se ramasser en prison avec des sentences de 15 ans à perpétuité pour des infractions mineures». «Give me a break!» lâche la cinéaste.
C’est d’ailleurs de là qu’est venue «l’impulsion première pour raconter cette histoire». Plusieurs scènes se déroulent ainsi en prison, où sa protagoniste rend visite à son amoureux. Encore une fois, si le contexte est lourd, Elizabeth Wood se concentre sur ce que ces instants ont de plus lumineux. «J’ai visité tellement d’amis, d’étudiants en prison, et même si ce sont de circonstances tristes, que les gens pleurent et que leur vie est en jeu, il y a toujours cette joie et cette excitation nées du fait d’enfin se revoir et de se parler.»
Sur une autre note, lorsqu’elle pense aujourd’hui à cette époque faite de creux immenses et de hauts géants, la considère-t-elle avec nostalgie? Ressent-elle parfois le désir d’y retourner? «Ça non, j’en ai eu assez, merci! Mais oui pour la nostalgie. Beaucoup de nostalgie. Tout semblait si fun, si excitant.»
Pour transmettre cette impression, la réalisatrice a misé sur la direction photo de Michael Simmonds, dans d’intenses tons de rouges, de verts, de bleus éclatants. Et sur le bruit. Fort, omniprésent. Dont celui du métro, inhérent à New York, qui rythme les déplacements de l’héroïne, qui y somnole le visage fatigué d’avoir trop célébré étampé dans le poteau. «Certains trouvent mon film super sombre, confie-t-elle. Je trouve plutôt que c’est un beau portrait de la jeunesse. Une période qui, du moins pour moi, a été faite d’expériences, bonnes ou mauvaises, qui m’ont permis de comprendre comment le monde fonctionne. Et c’était douloureux. Et c’était magnifique.»
White Girl
Au Centre Phi
Les 2 et 15 décembre à 19 h 30