Alors que Piknic Électronik fête son 15e anniversaire, son influence sur le paysage musical montréalais est indéniable. Métro a rencontré des musiciens de la scène locale de trois vagues différentes pour discuter de l’évolution de ce rendez-vous incontournable.
Lorsque Piknic a fait son apparition, sans tambour ni trompette, le 22 juin 2003 sous le stabile d’Alexandre Calder au parc Jean-Drapeau, le tsunami de festivals extérieurs de musique électronique n’avait pas encore atteint notre continent. Il y avait Ultra à Miami, Shambhala en Colombie-Britannique et certains grands rassemblements intérieurs (à Montréal, notamment le Bal en Blanc et le Black & Blue), mais cela n’avait rien à voir avec le marché sursaturé d’aujourd’hui.
Pour évaluer le chemin parcouru par Piknic, les mélomanes ont tendance à se remémorer les plus grandes pointures que ce rendez-vous dominical a proposées au fil des années (Ellen Allien, Ricardo Villalobos, Diplo, Nina Kraviz). Ce qu’on souligne moins, c’est toute l’évolution de la scène locale à laquelle Piknic a activement participé, en restant à l’affût d’une relève hétéroclite et des nombreuses transformations qu’a connues le nightlife de la métropole.
«Je me souviens du moment où les gens ont commencé à me parler de Piknic», nous annonce Rilly Guilty, un DJ s’y étant produit à plusieurs reprises, et dont le nom est fortement associé à la scène locale de la dernière décennie. «Au début, c’était surtout ceux qui animaient le milieu du nightlife. Puis, les choses ont basculé, et des gens que je n’aurais jamais imaginés dans un club ou en train d’écouter de la house s’y sont rendus. C’est alors devenu l’événement des Montréalais.»
«À Piknic, il existe encore cette fébrilité, ce côté un peu wild qui est important lorsqu’on apprend des choses. Nous ne devrions pas nous priver de ces expériences-là. Les choses ne devraient jamais être trop sages. C’est correct d’être un peu déchaîné, en autant qu’il y ait des personnes responsables à proximité.» -Rilly Guilty.
Faire le survol des 20 dernières années de la scène montréalaise serait impensable sans mentionner les noms de Tiga, de Poirier et de Misstress Barbara, l’une des premières femmes à percer dans un univers composé alors presque exclusivement d’hommes. Cette dernière fait d’ailleurs se déhancher les festivaliers de Piknic chaque année depuis les débuts de l’événement, le dimanche de la fête du Travail. Elle explique à Métro avoir toujours particulièrement apprécié les aspects extérieurs et diurnes de Piknic. «Ça influe sur les gens qui viennent et la façon dont ils se comportent», précise-t-elle. «La vibe est différente que dans les clubs. Les gens sont moins sur la drogue et plus présents. C’est plate à dire, mais c’est la vérité.»
Depuis quelques années, Barbara a ralenti la cadence derrière les platines pour se concentrer sur la production, animée par la volonté de relever de nouveaux défis et de s’imposer dans un (autre) univers dominé par la gent masculine. Cela dit, ses rencontres avec Piknic demeurent très spéciales pour elle. «[Les organisateurs] ont toujours traité les artistes avec respect», remarque-t-elle pour expliquer le succès de l’événement. «Ils n’ont pas été de ces promoteurs douteux qui ne paient pas la moitié des gens et qui s’enfuient avec l’argent des la caisse, comme ce fut le cas à l’époque des raves, où tellement de gens ont brûlé leur réputation. Leur renommée, ils peuvent en être fiers : c’est eux qui l’ont créée grâce à leur persévérance et à leur passion.»
Une passion qui s’est également traduite par l’exportation de la marque Piknic à l’étranger, avec le lancement, tout d’abord, d’une édition satellite à Barcelone en 2012. Aujourd’hui, des moutures hebdomadaires de Piknic sont proposées dans trois villes de l’hémisphère sud: Melbourne, Dubaï et Santiago, au Chili. Cette même passion anime également les artisans de la scène locale, comme Rilly Guilty, qui a récemment ouvert le magasin de vinyles La Rama Records (6307, boul. Saint-Laurent), dans un espace qu’il partage avec Death of Vinyl, et dans le but de permettre le tissage de nouveaux liens entre créateurs et mélomanes d’ici. «Je voulais offrir les morceaux de l’heure aux DJ locaux sur une base hebdomadaire et un endroit où se retrouver en vrai, pas sur l’internet.»
«Ç’a été drôle comme expérience, et même touchant. Au final, Jean-Marc Vallée a utilisé la réaction du public quand je suis montée sur scène au moment, dans le film, où le personnage de Kevin [Parent] salue la foule. J’étais crampée.» -Misstress Barbara, à propos de sa participation au film Café de Flore (2011).
Cette année, les défricheurs de talents émergents que sont Marie-Laure Saidani et son équipe de programmation Piknic ont, entre autres, retenu la proposition du producteur et DJ français Jaymie Silk, dont le projet musical est nourri par son grand amour de la culture afro-soul, du R&B, de la scène ballroom et du voguing des années 1980. Établi à Montréal depuis quatre ans, il dit être «impressionné par l’accès à la culture qui est possible ici, et par la possibilité d’explorer des choses, de se lancer dans des propositions non définies».
Celui qui en sera à sa toute première participation à Piknic en septembre – sur le nouveau site de la Plaine des jeux, que l’événement investit depuis le printemps – salue l’audace dont fait preuve le festival en explorant de nouvelles contrées rythmiques. «Piknic arrive à saisir des démarches un peu hybrides comme la mienne», souligne-t-il. «L’événement est assez gros pour se permettre de ne pas miser uniquement sur des valeurs sûres, de proposer des découvertes, et c’est très rassurant de voir ça.»