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Depardon : "J'ai trouvé l'apaisement dans ces moyennes montagnes"

Alexandra Bogaert, Métro France

Raymond Depardon, photographe et cinéaste, est venu présenter "La vie moderne" dans la sélection "Un certain regard" au Festival de Cannes.

Est-ce que vous assumez enfin de venir d’un milieu paysan ?
Oui ! Dire que je viens du monde rural était pour moi un tabou remontant à la maternelle. Ce film me libère de choses dont j’avais un peu honte : avoir quitté la ferme de mes parents, ne pas être intéressé par ce métier, être parti travailler à Paris. J’avais gardé un nÅ“ud qui faisait que j’avais du mal à aborder ce sujet.

J’ai mis du temps mais j’ai finalement trouvé l’apaisement en terminant ce troisième chapitre (après Profils paysans : l’approche, en 2001 et Profils paysans : le quotidien, en 2005, ndlr), dans ces moyennes montagnes qui ne devaient certainement plus exister pour les statisticiens, pour le ministère de l’agriculture, pour les syndicats. Poussé par de la nostalgie et un certain complexe, je me suis mobilisé sur ce film pendant dix ans. C’est ce qu’il fallait pour voir l’évolution de la problématique cédants-repreneurs.

Dix ans, pour un film… Le délai est hors-norme !
Avec les paysans, il faut jouer avec le temps. Ils sont par essence méfiants. Il ne sont pas impressionnés par le fait d’être filmés, mais ils se méfient. Par ailleurs, ce sont les moins troublés par la présence de la caméra. Que je tourne ou pas, ça ne changeait rien !

L’important -et c’est ça qui a pris du temps- était d’instaurer une relation de confiance, quelque chose qui fasse qu’ils sont contents de me voir. Autre contrainte : il ne fallait pas tourner beaucoup, mais tourner vite, bien connaitre les rites du pays… Bref, créer une nouvelle façon de pratiquer du cinéma direct.

Je ne voulais pas filmer ces gens incroyablement photogéniques et cinématographiques avec un point de vue passéiste, nostalgique. Soit, ils sont l’histoire de notre pays, la quintessence de notre culture, mais je me suis toujours demandé, pendant ces dix années, si on pouvait filmer ces gens-là d’une manière moderne. Et comment les filmer de manière moderne.

La paysannerie traditionnelle est-elle en passe de disparaître ?
Il y a eu une démoralisation de cette ruralité dans les années 60. Les paysans eux-mêmes ont démoralisé leurs enfants, leur disant que le travail était trop dur, qu’il valait mieux aller travailler dans la vallée, apprendre un métier… Mais j’ai espoir que cette ‘petite agriculture’ se perpétue parce qu’il y a trop de chômage dans les villes et que je connais plusieurs fermes où les enfants veulent reprendre l’exploitation familiale.

Quel regard la société porte-t-elle sur les paysans ?
Cela évolue. Il ya quelques années, les paysans des montagnes étaient associés à la nourriture, aux produits du terroir. Ca m’agaçait ! Puis, plus récemment, on les a enviés pour la beauté des paysages, leur contact avec la nature… et moi je pensais aux hivers longs, profonds, ennuyeux. Aujourd’hui, ils symbolisent la liberté qu’on a perdue, nous qui vivons dans des villes avec des contraintes horaires.

Quand j’ai commencé à faire ce film, je me suis aperçu qu’il y avait urgence à réatblir certains faits. Chaque fois qu’un film est fait sur les paysans -et j’en ai vu beaucoup-, les agruiculteurs étaient toujours en train de travailler, toujours une fourche à la main. Ce qu’on oublie totalement, c’est la parole dans les cuisines. Ca parlait beaucoup ! Les paysans sont très sensibles au mot juste.

Même s’ils n’ont pas beaucoup d’éducation, ils ont une intelligence certaine et développent un point de vue assez juste. Ceux que j’ai rencontrés sont majoritairement protestants. Ils ont fait preuve de tolérance, de générosité, d’une grande ouverture et même de résilience, comme s’ils n’attendaient plus rien.

  • La critique du film…

Les paysans que Raymond Depardon a suivis pendant dix ans pour son documentaire « La vie moderne », sont aussi anguleux que les routes de moyenne montagne qu’ils habitent depuis toujours, dans les Cévennes. Mais eux sont arrivés au bout du chemin. Agés, ils sont usés par une vie de dur labeur, menée dans la solitude et la précarité.

Ces représentants d’une agriculture paysanne traditionnelle ne sont plus qu’une poignée. Raymond Depardon, photographe et cinéaste issu de ce monde paysan, a posé sa caméra dans les corps de ferme pour montrer avec humilité et admiration ce monde en voie de disparition.

Matin et soir, Marcel, 88 ans et Raymond, son frère cadet de 83 ans, amènent paitre les brebis dans les prés escarpés. Ils ne voient pas d’un bon Å“il l’arrivée de Cécile, la femme que leur neveu Alain – quarantenaire qui a repris l’exploitation- a rencontrée par petites annonces et avec qui il s’est marié. Difficile pour ces célibataires endurcis et « passionnés par leur métier » d’accepter l’apparition d’une étrangère. Pourtant, c’est grâce à ce jeune couple de repreneurs que la ferme va poursuivre son activité.

Germaine et Marcel, aux 70 ans bien sonnés, petit-déjeunent à 6 heures tapantes, avant d’aller traire leurs deux vaches à la main. Ils vivent de peu et savent qu’aucun de leurs quatre enfants ne reprendra la ferme. « Trop de charges », grommelle Marcel.

C’est justement le coût astronomique d’une exploitation agricole qui dissuade finalement Amandine, jeune mère de deux petites filles, de « faire [son] trou ». Son mari et elle, qui ont acheté leur corps de ferme, n’ont pas envie de crouler sous les factures et le travail toute leur vie. Jean-François et Nathalie ont pris la décision inverse : ils ont construit leur ferme et créé leur activité.

Au fil de ces rencontres et à travers ces émouvantes interviews croisées filmées avec tendresse, Raymond Depardon dresse le portrait sensible et nuancé des paysans français, que la vie moderne condamne au changement. Splendide.

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