Marguerite Duras, revue et corrigée
Ce n’est pas par devoir, mais par «simple désir d’exister» que Rithy Panh continue à réaliser des Å“uvres évoquant sa patrie, le Cambodge. Quand ce n’est pas par le biais d’un documentaire, le cinéaste exprime le point de vue de son pays à travers le cinéma de fiction. «J’essaie de donner notre point de vue, de montrer comment on interprète le monde», dit-il à l’autre bout du fil.
La dernière offrande du réalisateur cambodgien reflète parfaitement cet esprit d’affirmation. Son adaptation du roman de Marguerite Duras Un barrage contre le Pacifique puise dans la jeunesse indochinoise de l’écrivaine. Le long métrage retrace le combat de la mère de Duras (jouée par Isabelle Huppert) pour cultiver une rizière régulièrement noyée par la crue du Pacifique.
«Marguerite Duras détestait les Å“uvres adaptées de ses livres! rigole Rithy Panh. Mais je crois que, si j’avais pu lui expliquer les libertés que je me suis permis de prendre avec son bouquin, elle aurait approuvé.»
Entretien avec un cinéaste engagé.
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans l’Å“uvre de Duras?
Ce mélange de fiction et de documentaire. Elle puis elle aborde des sujets importants, comme
l’anticolonialisme.
Considérez-vous Un barrage contre le Pacifique comme une Å“uvre politique?
L’Å“uvre de Duras est éminemment politique. Les problématiques liées à l’exploitation qu’on retrouve dans Un barrage contre le Pacifique existent encore aujourd’hui. Le colonialisme demeure, mais sous d’autres formes. Quand on regarde ce qui se passe au Brésil et en Inde, on constate que les paysans peinent toujours à avoir accès aux terres. Les grandes multinationales achètent des centaines d’hectares de terre pour ensuite y faire ce qu’elles veulent : elles exploitent les ressources et elles ne les transforment même pas sur place. Elles utilisent les paysans comme simple force de travail. Elles ne se servent pas du tout de leur intelligence.
Pour vous, quel rôle doit jouer le cinéma?
On ne pourra jamais enlever au cinéma sa fonction de divertissement. Avec l’évolution de l’image et du son ces dernières années, le cinéma a plus que jamais une mission de spectacle. Je crois qu’il est tout de même important qu’il conserve sa dimension politique, philosophique, etc.
Pourriez-vous réaliser un film dans le seul but de divertir?
Oui. Il y a de très bons films de science-fiction qui nous poussent à réfléchir. Par exemple, Soleil vert [de Richard Fleischer] nous montre les catastrophes que la destruction de notre environnement peut amener. J’aime bien les films de science-fiction qui trouvent écho dans l’actualité. Faire un film juste pour faire un film, je ne crois pas que j’y arriverais, cependant. Je ne suis pas arrivé dans le cinéma par cette porte-là. Mais je ne critique pas pour autant.
Par quel moyen est-il le plus facile de faire passer un message : le documentaire ou l’Å“uvre de fiction?
La fiction. La masse aime bien la fiction, et parfois, il arrive qu’un bon film de fiction parvienne à faire une différence. Prenez The Killing Fields, de Roland Joffé. J’exagère peut-être, mais je crois qu’avant la sortie de ce film, le grand public ignorait tout de l’existence des Khmers rouges [NDLR : nom donné aux membres d’une organisation communiste cambodgienne au pouvoir de 1975 à 1979 responsable de la mort de 1,7 millions de Cambodgiens et qui a interné l’ensemble de sa population dans des camps]. Je serai éternellement reconnaissant envers ce film. Il a fait découvrir au monde entier qu’il y avait eu un génocide au Cambodge. C’est un exploit qu’aucun documentaire n’avait réussi à accomplir.
Pourquoi avez-vous choisi de vous éloigner un peu du roman de Marguerite Duras?
Ces derniers temps, on a beaucoup fait de films qui misent sur l’imitation. Prenez La vie en rose, avec Marion Cotillard dans le rôle d’Édith Piaf. Dans ce type de film biographique, les acteurs sont si bien maquillés qu’on croirait presque que ce sont des morts qui reviennent sur terre! Pour ma part, je n’ai pas abordé Un barrage contre le Pacifique de cette façon.
Pourquoi avez-vous choisi Isabelle Huppert pour jouer le rôle de la mère?
Isabelle Huppert fait partie de ces comédiennes qui peuvent exprimer beaucoup de choses en
faisant peu. Ce jeu tout en retenue, ça m’impressionne.
Pourquoi vous êtes-vous surtout consacré au documentaire ces dernières années?
Pour moi, le documentaire, c’est un appel. Ça fait partie d’une sorte de travail sur la mémoire du Cambodge.
Un barrage contre le Pacifique
En salle dès aujourd’hui